Hommage à un Invisible

Hommage à un Invisible

Le 30 juin, j’ai perdu un ami, un frère, un membre de la famille du Centre de rééducation que nous pratiquions ensemble, comme tant d’autres… Je tenais à laisser un mot dans notre journal, mais redoutais de faire un hommage, un témoignage, trop personnels, je redoutais aussi mes émotions. J’ai eu l’idée de passer la main à Julie Cama, qui m’avait interviewé, comme après ce fut le tour d’Antoine, que je lui avais conseillé de rencontrer.

Ce qu’elle a fait et lui a permis de rédiger, de sa vision de jeune étudiante éclairée, un très beau récit pour mon ami Antoine, un très bel hommage à un Invisible.

Ciao Pantin…

É
tudiante en master de sociologie et menant une enquête dans le cadre de mon mémoire, c’est dans ce contexte que j’ai eu la chance de rencontrer Antoine. J’avais choisi pour thématique l’accessibilité dans l’espace public vécue par des personnes en fauteuil roulant, tout simplement parce que j’avais très peu de connaissances sur le sujet et que je voulais découvrir de nouvelles choses, entre autres. Et ce fut le cas. Bien plus que je ne l’aurais imaginé, je dois l’admettre. C’est particulièrement à travers ma rencontre avec Antoine que cette recherche m’a marquée en tant qu’humaine, chercheuse, et oserais-je le dire, en tant qu’amie.

 

Je découvre donc Antoine le 14 mars 2019 à son domicile. J’ai toute une série de thématiques à aborder avec lui et j’enregistre nos échanges grâce à mon dictaphone pour plus tard, retranscrire intégralement un entretien qui aura finalement duré près de trois heures. On ne se rend pas compte à quel point trois heures seul à seul avec une personne peut nous en apprendre sur elle, et sur nous.

En quelques mots, Antoine avait 35 ans et vivait dans une petite commune du sud de la France depuis un peu moins d’un an. Après un accident de voiture quinze ans plus tôt, Antoine était en fauteuil roulant, et pourtant, au cours de l’entretien, j’avais oublié son handicap. Il m’est de suite apparu charmant, agréable, chaleureux et amical. Mes yeux se sont aussi très vite arrêtés sur ses tatouages : il semblait en avoir partout. L’entretien s’est déroulé à merveille. Il s’appropriait facilement mes questions. Discuter avec lui me semblait si simple. J’avais senti une petite fermeture au début, comme si je venais de le réveiller, puis il a fini par se détendre, à davantage parler de lui même.

Ce qui m’a beaucoup plu chez Antoine ce jour-là, c’est qu’il était tout aussi curieux de me connaître que moi de le connaître. Il s’intéressait énormément à mon travail, à ce que j’allais en faire et n’hésitait pas à me poser des questions. C’est de cette façon que j’ai découvert qu’il avait débuté il y a de ça bien des années, des études de psychologie et que cela l’avait passionné. Je l’avais encouragé à se renseigner sur les formations possibles, qu’il n’était pas trop tard. Il avait l’air dubitatif mais intéressé par l’idée, et j’aimais l’imaginer reprendre des études qu’il avait tant appréciées.

Nous sommes le lundi 8 juillet 2019, et il y a une semaine, Antoine nous a quittés. C’était le dimanche 30 juin 2019. Je ne sais pas pourquoi me remémorer ce moment m’émeut tant. Je ne l’ai vu qu’une seule fois, mais sa personne m’a manifestement interpellée. C’est son côté justicier indépendant et sa manière si franche de communiquer qui, je crois, m’ont marquée.

Sur le pas de la porte, au moment de partir, il m’avait invitée à revenir quand je le souhaitais et me l’avait redit un autre jour par texto. Je lui avais dit que j’irais lui rendre visite une fois tous mes examens passés. Mais deux jours plus tard, il était déjà deux jours trop tard.

Antoine avait seulement 35 ans et je ne peux m’empêcher de penser que c’est injuste de partir si tôt, bien que ma recherche de cette année m’a fait prendre conscience plus que jamais que les malheurs arrivent n’importe quand, à n’importe qui. Mais je ne pense pas que le savoir et s’y préparer nous ôte notre peine au moment de perdre un être cher. A-t-il été heureux dans sa vie ? J’aimerais en être sûre.

En tant qu’apprentie chercheuse et jeune femme sensible, je craignais de trop m’impliquer dans cette enquête en laissant de côté la part scientifique qu’elle comprend. Le handicap est un domaine d’une complexité immense. Il rassemble autant qu’il peut diviser. Il rend fort autant qu’il affaiblit. Mais je crois finalement que je n’aurais pas pu travailler sur quelque chose qui ne me m’émeuve pas un minimum. Qui ne m’anime pas. Je crois également n’avoir jamais rencontré en si peu de temps autant de personnes dont je qualifierais les qualités de très humaines. Et c’est en partie grâce à des personnes telles qu’Antoine, qui vous ouvrent leur porte, vous écoutent et se livrent à vous dans un espace de confiance et de respect, que je suis fière du choix de mon travail et que je souhaite aller plus loin.

Je finirai simplement ce texte par une citation de Jean Dominique Bauby, tirée de son triste et merveilleux livre : Le scaphandre devient moins oppressant, et l’esprit peut vagabonder comme un papillon, en me plaisant à t’imaginer Antoine, libre comme un papillon.

JULIE CAMA