Keskilendit Jean-Pierre Darroussin ?

Keskilendit Jean-Pierre Darroussin ?

Trois questions à l’acteur et réalisateur Jean-Pierre Darroussin.

 

Le Bruit des Arbres :

Alors, on fait quoi maintenant, nom de dieu ?

Jean-Pierre Darroussin :

Ben rien, on fait rien, c’est le mieux. On est pas bon, politiquement on est nul ! Moi, ça fait plus de cinquante ans que je suis de gauche et qu’il ne s’est rien passé. On n’est arrivé à rien, on n’a rien insufflé, que dalle, pas la moindre solidarité, pas de confiance, pas de lien, que du contrôle et du principe de précaution. C’est affreux ! Il n’y a pas de quoi se sentir fier de quoi ce soit dans ce monde qu’on rêvait de sauver. Alors, si en plus on sent qu’on n’a de prise sur rien, que malgré nos protestations des lobbys peuvent continuer tranquillement à valoriser des entreprises qui détruisent notre environnement, ou bien qu’on est au chômage, ou à la retraite, ou qu’on est étudiant à la recherche d’un emploi, ou d’une idée pour s’imaginer un avenir, et qu’on vous fait comprendre que vous coûtez cher et puis que vous voyez bien que le service public bat de l’aile parce qu’on a plus les moyens, que l’État doit réduire son train de vie, que de toute façon on est trop, qu’on ne peut pas nourrir tout le monde, et que beaucoup ne servent à rien, qu’ils vont être remplacés par des Arabes, des Chinois, ou de l’intelligence artificielle… euh, ça devient compliqué. Et puis l’édifice… parlons-en, on met sa petite pierre mais le résultat n’est pas brillant, on agonise sous des crédits qui nous aliènent au profit de banques qui jouent en bourse avec nos économies, quand elles ne financent pas des génocides (voir la BNP au Darfour) ou aident à l’évasion fiscale. On se laisse imposer des règles de concurrence libre et non faussée qui ne profitent qu’aux plus puissants. On construit une Europe où les lois fiscales ne sont pas les mêmes pour tout le monde. Qu’est-ce que tu veux que je te dise, le monde n’est rassuré que s’il y a accumulation de profit, et on n’a pas réussi à rassurer le monde autrement, à détourner les gens vers d’autres joies, vers d’autres accomplissements. L’industrie et la finance écrasent la singularité et la diversité, plus rien n’a de valeur tout a un prix. Mais c’est comme ça, c’est l’époque qui veut ça. Liberté ou égalité il faut choisir ! (comme ça, ceux qui auront les moyens de leur liberté pourront se permettre de ne pas être tout à fait les égaux des autres). Mais c’est pas ça qui nous a été transmis, bordel ! C’est pas ce que désiraient nos pères en sortant de la guerre. Je crois qu’on ne s’est pas assez méfiés de Pompidou, on n’a pas vu que le deuxième acte de la guerre civile qui n’avait pas pu avoir lieu dans les années trente, à cause de la guerre mondiale qui se préparait, se mettait en place sournoisement et que cette fois-ci, le camp des nantis allait allègrement et facilement prendre le dessus et museler le camp des rêveurs. Alors on continue, on fait des films mais ils sont moins bons qu’avant, on écrit des livres mais ils sont moins bons qu’avant, on fait des chansons mais elles sont moins bonnes qu’avant, etc., etc. Alors on fonce dans la nuit sans phares, et on ne voit pas le mur qui se dresse devant nous, ou alors on ne veut pas le voir, ou alors on ne le voit que trop bien.

Le Bruit des Arbres :

Tu aimerais quel monde pour tes enfants ?

Jean-Pierre Darroussin :

Un monde où quand ils auront une soixantaine d’années ils pourraient se dire que c’était mieux quand ils étaient jeunes, sans en être tout à fait sûrs.

Le Bruit des Arbres :

Dis-moi ce qui te passe par la tête là, tout de suite ?

Jean-Pierre Darroussin :

Je me demande si on n’est pas passé à côté de quelque chose de réellement intéressant avec le babacoolisme, les mouvements peace and love de la fin des années soixante. C’était visionnaire : respecter la nature, la décroissance tout ça… bon le bashing a été énorme, on les a ringardisés, mais il y a du bon à prendre, à étudier, il faut réhabiliter les babacools ! Cela dit je me suis toujours senti du côté de tous ceux qu’on regarde avec condescendance, qu’on ne trouve pas suffisamment sérieux, les babacools, les cocos, les écolos. Y a une synthèse à faire de tous ces mouvements éminemment progressistes qui font rire les gens sérieux, voilà finalement une réponse à la première question. Et puis si tu as d’autres idées, je prends… En résumé : sans synthèse la politique n’est que foutaises…

 

PHOTOS GEORGES BIARD (en tête)
THIERRY CARO