La face cachée du monde

La face cachée du monde

Cévenol.e.s historiques et néoruraux sont dans un même bateau… et personne ne tombe à l’eau.

E
n ces temps où les élections s’immiscent jusqu’aux plus profonds des intimités, je reviens d’une quête dont la porte d’entrée fut un petit village reculé des crêtes cévenoles. Le temps fut passager, comme le rythme des jours. Cinq jours de rencontres, cinq jour de partage, cinq de compréhension des identités plurielles qui caractérisent la singularité de chaque lieu, y compris, nous l’avons découvert, dans les contrées les plus reculées. Là-bas, les Cévennes sont pour les premiers un canot qui les a sauvés de la violence des grandes villes. Pour les seconds, c’est une vallée suffisamment cachée permettant de vivre enfin une liberté retrouvée. Pour d’autres encore c’est un héritage historique et familial : Cévenols de père en fils, Cévenoles de mère en fille, la dureté des hivers n’est que le miroir d’une forte identité locale, au corps de pierre mais au cœur vulnérable.

 

Des néoruraux aux Cévenols historiques, les identités dialoguent, elles se culbutent et s’entremêlent.

Oui il y a de la défiance, quand les premiers reprochent aux seconds un certain manque d’ouverture, alors que les seconds reprochent aux premiers de bouleverser, peut-être trop rapidement, les codes qui composent depuis plusieurs générations la vie montagnarde. Mais sous le terreau de la défiance surgit une donnée qui séduit jusqu’aux pensées les plus arides : l’interdépendance. Car, aux creux des discours, à l’ombre des postures, se cachent des liens érodés bientôt, on l’espère, reconstruits : les nouveaux arrivants ont besoin de la transmission du territoire dont sont gardiens les anciens, alors que les néoruraux apportent la possibilité d’un futur territorial.

Ces rencontres touchent au cœur, elles formulent une nouvelle histoire : si les élections sont bien sûr importantes dans la transition sociale, à un autre niveau encore, se situent, je le crois, les récits de vie. Eux seuls, par les interdépendances dont ils sont à la fois la source et le résultat, peuvent donner de l’espoir à un territoire. Eux seuls peuvent profondément changer le monde.

 

Damien Deville est géo-anthropologue et coprésident de l’association Ayya.