Mortifère huile de palme…

Mortifère huile de palme…

Nous en consommons tou.te.s !

L’
huile de palme est la graisse végétale la plus largement utilisée dans le monde, à elle seule elle fournit 35 % de la consommation mondiale des graisses végétales. Selon les estimations du WWF, un produit sur deux dans les supermarchés en contient. Confiseries, desserts, glaces, , margarines, etc., détergents, maquillage… difficile d’y échapper [1]. Toutes les grandes marques de l’agro-alimentaires, de l’hygiène ou de la cosmétologie se sont rué sur cette matière première. Argument massue pour ces entreprises : c’est la graisse la moins chère du monde.

Extraite par pression à chaud de la pulpe des fruits du palmier à huile, originaire d’Afrique tropicale, celui-ci ne peut être cultivé que dans des zones tropicales humides, là où règnent d’imposantes forêts. Plantation exceptionnelle, elle donne des fruits, la noix de palme, qui poussent en régime, douze mois sur douze, deux fois par mois, pendant 25 à 35 ans

Elle est, qui plus est, extrêmement rentable car la concentration de ses noix en huile est impressionnante : 100 kg de fruits donnant environ 22 kg d’huile. Ainsi, une palmeraie produit huit fois plus d’huile qu’un champ de soja et six fois plus qu’un champ de colza, selon l’Alliance française pour l’huile de palme durable.

Mais son faible coût tient aussi évidemment à celui de la main-d’œuvre, bas salaires, travail forcé, travail des enfants, et conditions de travail déplorables, dans des pays où la législation sociale ou environnementale a peu de place .C’est le cas de l’Indonésie et de la Malaisie, devenus les principaux pays producteurs mondiaux de ce fruit, qui concentrent à eux deux plus de 85 % de la production. Dans l’ile de Sumatra (interviewé par Werner Boot et sa complice, Kathrin Hartmann dans le film L’Illusion Verte [2]) le militant Feri Irawan dénonce : « C’est très dangereux quand les entreprises font pression sur les gouvernements du monde entier. Ici, les travailleurs sont peu coûteux et les profits sont énormes ».

Huile de parle

Pas d’huile de palme sans déforestation

Ces plantations entraînent une importante déforestation [3], en particulier en Papouasie-Nouvelle-Guinée, proie facile pour les multinationales qui y trouve un véritable eldorado.

D’immenses zones de forêts tropicales sont défrichées et brûlées, jour après jour, pour leur laisser la place. Chaque année d’énormes incendies polluent la région. En 2015 , ceux de Sumatra et Kalimantan ont défrayé la chronique par leur durée (trois mois) et leur intensité. Un brouillard nocif s’est étendu à plusieurs pays d’Asie du sud Est, provoquant des dizaines de milliers d’infections respiratoires et des perturbations du trafic aérien. Le gouvernement a du faire appel à l’aide internationale pour en venir à bout. Mais cela n’a pas suffi puisqu’en 2016, l’Agence indonésienne de prévention des catastrophes (la BNPB) a détecté 143 nouveaux feux de forêt.

Ces monocultures, détruisant leur environnement, chassent les paysans de leur terre et privent les populations de leurs moyens de subsistance.

Pourtant la majeure partie de l’huile de palme produite en Indonésie et en Malaisie passe désormais par des entreprises qui se sont engagées à protéger les forêts. Les négociants ayant signé pour une politique “zéro déforestation” contrôlent 74 % de la capacité totale de raffinerie dans ces deux pays Belles promesses : la déforestation causée par la production d’huile de palme ne montre aucun signe de ralentissement.

.Les producteurs ont détruit plus de 130 000 hectares de forêts et de tourbières depuis 2015 – une surface grande comme 13 fois Paris – et 40 % de cette déforestation (soit 56 000 hectares) a eu lieu en Papouasie. Que compte faire le PDG de Wilmar, entreprise majeure du secteur, qui s’était engagé en 2013 à ne fournir que de l’huile de palme non issue de la déforestation d’ici 2020 [4] ?

Huile de palme

Une catastrophe climatique

Nul ne peut nier aujourd’hui que la préservation des forêts est essentielle pour combattre le changement climatique. Absorbant un volume important du CO2, elle fonctionne comme un puits de carbone qui limite les effets de nos émissions. Produire aujourd’hui des graisses végétales en abattant des arbres devrait donc simplement être interdits. Doublement interdit ! Car, en plus de ne plus capter de CO2, les déforestations de ces régions en émet énormément. En effet, les tourbières, sur lesquelles sont implantées les palmiers à huile, sont des zones marécageuses de végétation en partie décomposée qui s’enfoncent jusqu’à 18 mètres de profondeur et contiennent jusqu’à vingt-huit fois plus de carbone que d’autres forêts tropicales. La tourbe est tellement riche qu’enterrée suffisamment longtemps, un million d’années, la pression, le temps et la chaleur la transformeront en charbon

Ainsi, un seul hectare de tourbière tropicale peut relâcher 6 000 tonnes de dioxyde de carbone, lorsqu’elle est transformée en plantation. En 2012, près de 70 % du carbone libéré lors de la transformation des forêts tropicales de Sumatra en huile de palme provient des tourbières. L’Indonésie, premier producteur d’huile de palme de la planète, a ainsi émis plus de gaz à effet de serre que les États-Unis d’Amérique au cours de l’année 2015.

La plupart des grands incendies se produisent d’ailleurs sur ces tourbières, « Le drainage des tourbières a transformé le paysage indonésien en une énorme bombe de carbone accentuée par le phénomène de sécheresse », a indiqué Bustar Maitar, un Indonésien chargé de la forêt pour Greenpeace en Asie du Sud-Est [5].

Et s’y ajoutent les immenses quantités de méthane, un gaz à effet de serre 34 fois plus puissant que le dioxyde de carbone, rejetées par les eaux usées des raffineries d’huile de palme.

La déforestation et la transformation en huile de palme sont donc, au nom d’un profit maximum, autant de gestes criminels pour le climat. D’autant plus qu’on suppose que les plantes finiront par ne plus pouvoir tenir le rythme et que le coup de pouce qu’elles apportent face au changement climatique commencera à s’estomper. « Une plus grande partie du CO2 que nous émettons restera dans l’air, les concentrations en CO2 augmenteront donc rapidement et le changement climatique s’accélérera » explique Danielle Way, écophysiologue à l’Université de Western Ontario, au Canada.

Mensonge de l’huile durable et incohérence de la politique française

Total autorisé à importer 500 000 tonnes pour faire du « biocarburant »… 550 000 tonnes d’huile de palme seront importées chaque année pour alimenter la « bio »-raffinerie de Total à La Mède, près de Martigues, dans le Sud Est (mise en service juillet 2019). A titre de comparaison, environ 136 000 tonnes d’huile de palme alimentaire sont consommées chaque année en France.

Le gouvernement a autorisé cette importation et ce raffinage en exigeant simplement de Total qu’elle soit certifiée « durable » avec le label RSPO.

Hypocrisie ou incompétence ? En effet, ce label « huile de palme durable », qui date de 2004, est un mensonge. Il a été créé par la Table Ronde sur l’Huile de Palme Durable (RSPO), c’est-à-dire par les exploitants et entreprises de transformation et commercialisation du secteur. Aucune certification ne garantit aujourd’hui l’absence d’impacts directs ou indirects sur forêts. « Il n’existe pas d’huile de palme produite de manière durable, car elle ne pousse que là où les forêts tropicales se sont développées. » Leur développement est donc intrinsèquement lié à la déforestation , avec toutes les conséquences environnementales, sociales et climatiques déjà citées.

Le soit disant « biodiesel », dont Total veut abreuver le marché européen à travers sa « bio-raffinerie », serait responsable de trois fois plus d’émissions de gaz à effet de serre que les carburants fossiles et aurait donc un impact catastrophique sur le climat. [5bis]

Pour Sylvain Angerand, coordinateur des campagnes pour les Amis de la Terre, « L’Europe est en train de réviser sa politique de soutien aux agrocarburants. En juillet 2017, lors de la présentation de son Plan climat, la France a annoncé son intention d’interdire l’utilisation d’huile de palme dans les carburants. Pourtant, elle bloque aujourd’hui les décisions à Bruxelles. La France aura une responsabilité très lourde si elle fait échouer les négociations permettant d’exclure les agrocarburants contribuant le plus fortement à la déforestation… »

Conflits et résistances

Mais le climat n’est pas le seul touché : avec les arbres disparaissent des espèces rares comme l’orang-outan, l’éléphant pygmée de Bornéo ou le tigre de Sumatra. Paysans et populations autochtones, qui depuis des générations vivent dans la forêt et la préservent, sont souvent brutalement expulsés de leur terres. A ce jour, 700 conflits fonciers en rapport avec l’industrie de l’huile de palme ont été recensés en Indonésie. Et les plantations gérées de « manière durable » ou « bio » ne sont pas exemptes de violations des droits humains de la population.

Et il ne faut pas oublier que l’industrie agroalimentaire est le secteur aujourd’hui le plus lié aux assassinats d’agriculteurs et de défenseurs de l’environnement, pour l’accaparement des terres, par exemple, afin d’installer des cultures d’huile de palme… remplaçant les entreprises d’exploitation minière qui détenaient auparavant le triste record.

Un peut partout, des protestations émergent : selon un sondage IPSOS/ Transport et Environnement datant du 21 novembre 2018, 71 % des Français-e-s sont opposés à l’introduction d’huile de palme dans les carburants. C’est insuffisant, bien sûr, face à l’ampleur du phénomène, mais c’est un premier pas.

Pour la première fois de l’histoire, une action en justice internationale est intentée contre la certification RSPO et sa promesse d’une huile de palme durable. Les habitants de deux villages indonésiens ont déposé une plainte auprès de l’OCDE, car la RSPO ferme les yeux sur la destruction de leurs forêts. Au vu de la fraude systémique commise envers l’homme et la nature et les consommateurs ainsi dupés, des ONG indonésiennes et suisses ont demandé dans une lettre ouverte d’exclure l’huile de palme de l’accord de libre-échange de la Suisse avec l’Indonésie. Intégrer l’huile de palme dans cet accord signifierait encore plus de conflits fonciers, d’émission de gaz à effet de serre, de problèmes environnementaux et de violations des droits humains.

Que peuvent les consom’acteurs ?

De nombreuses pétitions existent impulsées par toutes les associations citées. On peut aussi, bien sûr, choisir des produits sans huile de palme. Est-ce vraiment suffisant ?

« Ce n’est jamais une personne qui a provoqué les grands changements de l’Histoire, comme la lutte contre l’apartheid, la décolonisation de l’Inde ou les mouvements de défense des droits de l’Homme. C’est l’un des éléments les plus pernicieux du mouvement de la consommation verte moderne. Elle renforce l’idée que vous êtes une seule personne et que tout ce que vous pouvez faire est de mettre les bons produits dans votre panier pour changer le monde. Mais aucun changement ne s’est jamais produit de cette façon. » Raj Patel, université du Texas, membre du mouvement La Via Campesina – mouvement international paysan (https://viacampesina.org) [6]

Seules des mobilisations conjointes, d’associations de producteurs et consommateurs, de défenseurs du climat, de syndicalistes, pourront venir à bout de multinationales criminelles.

 

[1] Encyclo-ecolo.com
[2] De Werner Boote, sortie le 13/02/19
[3] https://fr.wikipedia.org/wiki/Déforestation
[4] Huile de palme : compte à rebours final, Rapport de Greenpeace, 19 septembre 2018
[5] https://www.20minutes.fr/planete/1708203-20151013-incendies-indonesie-quand-culture-huile-palme-provoque-enormes-fumees-nocives
[5bis] https://www.amisdelaterre.org/ La France prête à ouvrir grand les vannes de l’huile de palme, Greenpeace France et les Amis de la Terre
[6] Cité dans le film L’illusion verte, de Werner Boote, sortie le 13/02/19