Après le silence… la vie du vivant

Après le silence… la vie du vivant

Comme s’il n’y avait eu qu’un bruit de fond et un son que nous mettions en arrière-plan pour cacher l’essentiel, les bruits vrais sont réapparus.

D
epuis le 17 mars, jour de l’an 01, même pas à 15 heures, sans Jacques Doillon, sans Jean Rouch mais partout où la présence de l’Homme s’est tue, un murmure est revenu.

C’était là-même où nous étions moins nombreux et d’aucun d’entre nous a témoigné.

Tantôt des merles, tantôt des mésanges charbonnières, qui des huppes fasciées, qui les premiers guêpiers d’Afrique, plus grégaires, grégaires – dis-je – ? Plus familiers, plus proches ? Encore de la rhétorique anthropique. Non plus libres, moins contraints par d’autres présences.

Ce temps que tant enviait jusqu’alors, appelait de leurs vœux en les définissant corridors écologiques, trames vertes, trames bleues, c’était des espaces plutôt, des espaces non confinés, tout nu, vierges.

Et non des temps.

Parce que pour la nature, le temps est peu souverain par rapport à notre échelle de petits d’hommes.

L’espace que nous occupions et avions empruntés à d’autres a eu tôt fait d’être repris comme si la nature avait horreur du vide.

Certains, comme moi, nous sommes posés là subrepticement, sans bruit, sans voiture, à pied et avons contemplé.

Les arbres étaient là. On ne les regardait plus, on croyait les voir. Le Printemps s’amusait avec un calendrier économique et on ne faisait que se faire surprendre par bribes et à coups de pinceaux d’instants éphémères. Là, nous, moi, avions le temps de le savourer, d’entendre sa puissante et lente progressive éclosion.

Quand on s’approchait un peu, toujours sur la pointe des pieds et en sourdine, on pouvait entendre, bizarrement, comme une rumeur de nature vivante quand hier, juste hier encore, le brouhaha de nos vies, écrasaient ce métronome venu de loin.

Et ce petit détail d’un matin vers 6 heures….

Je roulais vers le lieu de ma besogne de jardinier, pourtant en voiture. Sur le chemin du rituel alors que je m’émouvais de la lumière qui pointait à l’Est, un renard paisible et presque indolent se tenait au bord d’un chemin de terre. Il allait, lentement, puis s’est assis.

J’ai coupé le moteur et suis sorti de mon automobile. Habituellement, il aurait tout de suite bondi dans un lentisque et aurait joui d’une sorte d’échappée sauvage. Non, il est resté assis. Il était à cinq petits mètres de moi et me regardait.

Alors, je me suis assis sur le chemin et nous nous sommes à peine regardé, du coin de l’oeil.

Pendant un bon quart d’heure, nous avons regardé le jour qui montait, lui tendant les oreilles aux bruits du matin, moi heureux comme un homme qui découvre la faune sauvage pas si éloignée finalement du monde d’avant le silence.

Un peu comme Fernando Pessoa le définissait dans l’intranquillité, j’étais entre-deux. Quand le renard est parti, comme l’éclair, je suis remonté dans ma voiture. Je suis resté longtemps un peu dans cet entre-deux.

Dire que j’étais heureux et serein, non, coupable et pesant d’être une espèce qui rompt le silence, non plus. Sans doute le renard m’avait rendu une part de liberté dans l’instant où nous éprouvions le jour apparaître. Mais demain ? Après que ce silence eût été de nouveau étouffé, remis dans un coin de nature à distance ? Oui demain ? Quels Hommes serons-nous face au renard ?