Déconfinez-MOI….

Déconfinez-MOI….

Le professeur Éric Caumes est médecin, spécialiste des pathologies infectieuses et tropicales, cliniques et biologiques à l’Hôpital de la Pitié-Salpêtrière, à Paris. Il nous livre sans détours son analyse sur le confinement/déconfinement…

 

C
ela faisait un peu plus de deux semaines que la France était confinée, une grande première dans l’histoire des épidémies dans notre pays, et le Premier ministre parlait déjà de déconfinement… Avant de revenir en arrière dès le lendemain en disant que le « déconfinement n’était pas pour demain ». Il venait de se rendre compte que les raisons du confinement n’avaient pas disparu, comme par enchantement, et que leur persistance allait être un obstacle au déconfinement. En fait pour bien comprendre les possibilités de déconfinement, il faut d’abord rappeler les raisons du confinement.

 

Confinement

Le confinement a deux raisons d’être qui témoignent, d’un échec de la politique de santé publique menée au cours des deux dernières décennies en France sur le plan des maladies infectieuses. On confine en effet pour deux raisons : la saturation du système de santé hospitalier (débordé par l’afflux de malades graves), et une épidémie non contrôlée dont il faut casser la dynamique.

La saturation de notre système de santé était prévisible tellement il a été malmené au cours des dernières années. Tout le monde hospitalier préfigurait que cela ne résisterait pas à une grosse épidémie et on en a eu la confirmation. Il est inutile d’en détailler les raisons ici.

Quant à l’absence de contrôle de l’épidémie, elle était moins prévisible tellement nous croyions possibles de nous abriter derrière un système de santé publique dont les autorités nous garantissaient la fiabilité. Mais il n’en était rien. Pour caricaturer, nous pouvons dire que nous sommes plutôt bons en médecine curative et plutôt mauvais en médecine préventive. Et c’est l’absence d’une bonne culture médicale préventive qui explique que nous avons été très rapidement débordés. Nous avons tout simplement oublié qu’il « vaut mieux prévenir que guérir ». Nous avions des essais thérapeutiques tout prêts mais nous n’avions pas de masques ! Là où le Japon, Taiwan, Singapour, la Corée du sud, et dans une moindre mesure l’Allemagne, arrivaient, grâce à d’exceptionnelles mesures de santé publique, à contenir l’épidémie, au moins dans un premier temps, en France et dans bien d’autres pays occidentaux, nous avons été très rapidement débordés.

Pourtant ce n’est, en théorie, pas difficile de contenir une telle épidémie car l’unique réservoir du virus est l’homme. Il suffit donc d’interrompre la transmission de l’homme à l’homme et l’épidémie cesse. Facile à dire, mais beaucoup plus difficile à mettre en œuvre. Comme nous l’ont bien montré certains pays d’Asie, il faut combiner les mesures de distanciation sociale (ne pas s’approcher à moins d’un mètre, ne pas se serrer les mains, ne pas se faire la bise, porter des masques au moins dans tous les lieux clos, se laver régulièrement les mains) et les mesures plus générale de santé publique basées sur une très large utilisation des tests diagnostiques (repérer les malades, les isoler, tracer les contacts, les mettre en quarantaine). C’est aussi simple que cela mais nous n’en sommes pas capables. Et c’est parce que nous n’en avons pas été capables que le confinement a été nécessaire. Se confiner, c’est reconnaitre notre échec, l’échec de notre système de santé pour faire face à l’épidémie.

 

Déconfinement

On ne pourra donc déconfiner que si deux conditions sont réunies : le système de santé n’est plus saturé, et la dynamique de l’épidémie est cassée, pas atténuée, mais cassée.

Aujourd’hui, 6 avril, on peut dire que le système de santé va rester saturé pendant encore quelques semaines dans le grand est et la région parisienne, en tout cas dans les réanimations qui sont la clé de voute de la guérison pour les patients, faute de traitement efficace. En effet, la durée de séjour en réanimation excède les deux semaines et va jusqu’à trois semaines dans la plupart des cas. Le lac des malades n’est donc pas encore prêt de se vider. Et ces deux régions seront donc les deux dernières à être déconfinées.

Mais faut-il encore que le lac arrête de se remplir. Car si les malades continuent à affluer, faute d’une prévention associée au confinement, le système de santé restera saturé pendant des mois. Les malades autres que du CoVid commenceraient alors à payer un tribut de plus en plus lourd à la saturation du système de santé par les CoVid. Car leur état de santé permettra de moins en moins de reculer leur prise en charge à l’après-CoVid.

On l’a compris, si des mesures de prévention basées sur le respect de la distanciation sociale et des mesures de santé publique ne sont pas appliquées en urgence à l’échelle de la nation, on va devoir vivre avec cette épidémie et s’habituer à compter les morts tant que nous n’aurons ni traitement ni prévention efficaces. On ne peut pas déconfiner sans prévenir la maladie. Si non les mêmes causes vont produire les mêmes effets.

Car il est un fait que les mesures de prévention sont pour le moment peu apparentes, en tout cas, pour le citoyen, et même pour le médecin spécialiste des maladies infectieuses que je suis. Je ne reviendrais pas sur le manque de masques tellement il a été dit à ce sujet. Et point n’est besoin d’en rajouter encore sur les pénuries de presque tout que cette épidémie a révélé. Pour le présent, on constate que des chaines de transmissions sont encore en place dans de très nombreux endroits (hôpitaux, maisons de retraite, EPADH, structures médico-sociales, casernes, prisons, familles…) et ces chaines de transmission ne sont pas attaquées. Comment serions-nous capables de faire de façon plus généralisée ce que nous sommes incapables de mettre en place rapidement dans les endroits les plus à risque ?

Et encore, je ne parle même pas ici des modalités d’isolement des cas ou des contacts. En Espagne, ils isolent les malades dans des hôtels, en France, on les isole chez eux. Or quand on décide d’isoler les cas confirmés dans leur famille, on assume le fait que cette personne infectée va contaminer toute sa famille dans la plupart des cas. …Et plus il y aura de cas plus nous verrons des formes sévères puisque celles-ci représentent environ 20 % des cas de CoVid qui consultent, d’autres cas ne consultant même pas tellement les signes peuvent être peu importants. Ces 20 % seront toujours là tant que l’on n’a ni traitement ni prévention efficaces. Or pour l’instant nous n’avons que les mesures de santé publique individuelle et collective pour faire barrage à ce virus.

C’est donc le moment ou jamais de saisir l’opportunité de cette infection virale potentiellement mortelle pour bâtir un système de santé publique digne de ce nom pour notre pays. Si non, nous ne sommes pas prêt d’en avoir fini avec cette épidémie et avec le déconfinement.

 

PROFESSEUR ÉRIC CAUMES
Service des Maladies Infectieuses et Tropicales
GH Pitié-Salpêtrière
Paris

« Pour bien comprendre les possibilités de déconfinement, il faut d’abord rappeler les raisons du confinement.” […] “C’est le moment ou jamais de saisir l’opportunité de cette infection virale pour bâtir un système de santé publique digne de ce nom pour notre pays !”