En Amérique du Sud…

En Amérique du Sud…

Prenons-en de la graine (bio) : les politiques redistributives ne résistent pas aux crises

 

La fin du cycle des gouvernements progressistes en Amérique du Sud

Résurgence de régimes autoritaires, élections gangrenées par la violence s’ajoutent à des systèmes électoraux dont la complexité favorise la corruption et les partis les plus riches… Les espoirs nés de l’accession de gouvernements plus ou moins progressistes en Amérique du sud, après des années de droite ou de dictatures, ont été balayés dans presque tous les pays soit par le retour des oligarchies, soit par un changement de cap économique ou politique.

Si les causes sont évidemment plurielles, on ne peut évacuer l’hypothèse que l’indifférence aux questions écologiques, et démocratiques, ou leur abandon progressif y est pour quelque chose.

Les présidents élus dans les années 2000 illustraient l’émergence de nouvelles couches sociales ou ethniques. Evo Morales, lui-même d’origine indigène, comme la majorité des Boliviens, était responsable d’un syndicat de cultivateurs de coca. Hugo Chavez, militaire de profession, se revendiquait métis. Lula Da Silva, syndicaliste, venait d’une famille pauvre du Nord Est brésilien. Rafael Correa, élu en Équateur, s’il est lui aussi d’origine modeste, se distingue comme économiste. On pourrait ajouter à cette liste, le président péruvien, Ollanta M. Humala, militaire, fils d’un indigéniste socialiste. Cet article portera principalement sur ces pays. Deux femmes arrivent au pouvoir dans cette période : Cristina Kirchner en Argentine, avocate, héritière d’un Péronisme de gauche et Michelle Bachelet, socialiste, exilée pendant la dictature, 2 fois élues, au Chili. Auxquelles ajouter Dilma Rousseff, présidente du Brésil de 2011 à 2016.

 

 

PAUVRETÉ À LA FIN DES ANNÉES 90 : 36 % en Equateur, 54 % des ménages au Venezuela… Un record mondial. Shadid Burke, vice-président de la Banque mondiale, en 1996 souligne : « De toutes les régions en développement dans le monde, c’est la région Amérique latine-Caraïbe qui connaît l’inégalité de revenus la plus forte ». En 1990, les 20 % les plus riches détenaient 52,9 % des revenus. Au Brésil, en moins d’une décennie 40 millions de Brésiliens sont sortis de la misère (sur environ 200 millions d’habitants à l’époque). L’indice de Gini [1] a partout baissé : le Venezuela était devenu le pays le plus égalitaire de l’Amérique du Sud. En Bolivie, la mortalité infantile a reculé de 50 % en une décennie.

 

Tous ces dirigeant-e-s ont mené à des degrés divers une politique redistributrive. Ils ont utilisé les ressources jusque-là captées par la classe sociale dominante : pétrole, gaz, cuivre, argent, zinc, étain, soja, huile de palme, élevage… Grâce aux devises de ces exportations, ils ont développé des systèmes de santé, d’éducation, de transports plus justes. Ils ont élaboré des plans sociaux, salaire minimum, retraite, logement, alimentation pour lutter contre la très grande pauvreté qui touchait un très grand nombre). Et la majorité a affirmé les droits des peuples autochtones. Certains ont entamé une réforme agraire, contre un accaparement par des latifundistes (ou des multinationales). Ils ont ainsi pu réduire les importantes inégalités qui minent le continent.

Même dans le domaine environnemental une politique audacieuse a parfois été initiée : les droits de la Nature inscrits dans la constitution en Équateur comme en Bolivie (la « Pachamama ») s’opposaient explicitement au développement « occidental » du « toujours plus ». Au Venezuela, sur dénonciation de l’association « Via campesina » les plantes transgéniques sont interdites, le projet de soja Monsanto est annulé, remplacé par du manioc ; en 2015, grâce aux mobilisations des petits agriculteurs, est promulguée la Loi de Semences anti-OGM, anti-brevet et anti-privatisation. Au Brésil les droits des peuples indigènes d’Amazonie sont affirmés et protègent leurs territoires contre la déforestation agricole ou minière…

Et un passionnant projet voit le jour, en 2007, en Équateur, « Yasuni ITT [2] ». Les réserves de pétrole ne seront pas exploitées si, en échange, des fonds internationaux compensent la perte financière. Cette proposition novatrice répondait à la difficile équation à laquelle sont confrontés les pays qui dépendent de la rente minière : cesser l’extraction d’énergie fossile menaçant le climat et la biodiversité de la planète entière, tout en préservant des financements indispensables à leurs projets socio-économiques.

DETTE ÉCOLOGIQUE : faire payer les importateurs, les consommateurs des sociétés énergivore était aussi une façon de traiter « la dette écologique », autrement dit, la responsabilité des pays industrialisés dans les émissions de Gaz à Effet de Serre (GES) depuis plus d’un siècle et encore aujourd’hui.

 

Pourtant, malgré des résultats incontestables, dans la dernière décennie, la droite a été élue en Argentine, au Chili, au Pérou. Au Brésil, grâce la destitution aberrante de Dilma Roussef [3] et à l’emprisonnement invraisemblable de Lula [4], c’est l’extrême droite de Bolsonaro qui l’emporte. Quant à l’Équateur, le successeur de R. Correa, Lenin Moreno qu’il avait pourtant adoubé, revient sur ses réformes au profit d’une politique libérale. Sans parler du Venezuela qui s’enfonce dans une dramatique crise sociale, économique et démocratique sous la présidence de Maduro. Même en Bolivie, Evo Morales, toujours président, a été désavoué lors du référendum visant à modifier « sa » constitution afin de lui permettre de briguer un 4e mandat.

 

« La malédiction des ressources » ?

Beaucoup d’analyses ont montré que des pays « riches » en matières premières étaient paradoxalement parmi les plus pauvres. Bien sûr, leurs ressources ont toujours été convoitées, la colonisation, véritable génocide, a massivement pillé le continent, les indépendances, tardives pour certains, ont été malmenées par de nombreuses interventions armées des États Unis pour y maintenir leurs entreprises. Aujourd’hui, les multinationales (principalement canadiennes, chinoises, étasuniennes, mais aussi européennes) règnent en véritables maîtres. On aurait pourtant pu espérer que des gouvernements progressistes, forts du soutien populaire, pourraient leur imposer leur politique. Pas si simple.

Tout d’abord, il est difficile d’échapper à un mécanisme économique nommé « syndrome hollandais [5] ». En simplifiant, disons que lorsque l’économie d’un pays dépend d’exportations limitées mais très demandées, leur prix augmentant, il est tentant de les privilégier au détriment d’autres productions. Ensuite, s’il y a redistribution, le pouvoir d’achat augmente, mais la production de biens de consommation n’étant plus suffisante et/ou plus coûteuse, c’est la concurrence étrangère qui en profite. Les importations de produits transformés (chinois, par exemple) remplacent les fabrications locales. Et le cercle vicieux de la dépendance à l’économie mondiale s’accentue lorsque survient la crise de 2008, la demande de matières premières qui avait explosé dans les pays émergents s’effondre, entraînant les revenus de ces pays dans leur chute.

S’y ajoute la raréfaction des ressources, énergies fossiles, minerais. De plus en plus difficiles à exploiter, elles exigent des investissements de plus en plus importants. Il n’est alors pas question que les multinationales qui dominent le marché acceptent de partager leurs bénéfices, quand les gouvernements veulent limiter leur emprise

N’oublions pas non plus la propension des économies dites de rente, dépendant d’un marché peu transparent (euphémisme), à générer de la corruption. Il ne faut pas alors s’étonner que les nouveaux gouvernants, pour contrer une classe dominante oligarchique, raciste, et héritière d’une criminelle histoire coloniale, vieille de cinq cents ans, aient cédé à la tentation de profiter de cette manne. Pour le bien du peuple, sans doute, pour le leur, plus tard, peut être.

Peut-on pour autant dire que les gouvernements ont été uniquement victimes de mécanismes économiques qu’ils ne pouvaient éviter ? Pas sûr !

 

Les sirènes de l’extractivisme [6] et de l’agrobusiness ont gagné

Le projet Yasuni s’est arrêté en 2013, faute d’apports internationaux suffisants. Difficile alors de résister à la tentation d’exploiter un pétrole de qualité dont la raréfaction prévue faisait espérer des bénéfices exponentiels.

Bien que l’arrêt du projet ait stipulé que seul 1 % de la superficie du parc pourrait être exploité… les peuples autochtones ne l’entendirent pas ainsi. Pour eux, et d’autres opposants, c’était la porte ouverte aux convoitises des entreprises pétrolières et à des autorisations de forages plus importants [7]. Ils avaient été majoritaires à soutenir le candidat Correa, qui promettait de défendre leurs droits et territoires. Or, rapidement, dès 2009, une fois élu, il répondait par la répression aux marches pacifiques s’opposant à sa politique minière qui détruisait un environnement vital pour les communautés. Là où l’on aurait attendu un dialogue serein, et l’application du « droit à la consultation préalable libre et informée des populations concernées » garanti par la Constitution équatorienne, le gouvernement a tenté d’interdire les organisations indigènes. La rupture est consommée avec la tentative d’expulsion de son siège en 2014 d’un acteur incontournable, la Confédération des Nationalités Indigènes d’Équateur (CONAIE). Les confrontations se multiplient. Emprisonnement, menace, assassinat impuni, accusation d’être à la solde de puissances étrangères (!), ces mouvements sont traités comme des ennemis de l’intérieur.

 

JAVIER RAMIREZ, leader d’une communauté villageoise impactée par le projet de mine de cuivre, a passé, en 2014, dix mois en prison accusé à tort de sabotage, terrorisme et rébellion. La compagnie d’Etat a depuis réussi, avec l’aide des militaires, à s’installer sur la concession et à commencer l’exploration. Malgré les intimidations régulières, il promet de continuer à lutter pour empêcher l’exploitation à ciel ouvert qui dévasterait les ressources naturelles vitales pour ces communautés paysannes.

 

Face à un prix du baril de pétrole en forte baisse, le gouvernement a accentué le développement minier. Et a reculé sur le plan social. En 2015, au-delà des oppositions classiques de la droite, le président équatorien était aussi contesté par les syndicats. C’est ainsi que le pays qui avait impulsé l’idée du « Buen Vivir », contre le consumérisme, est devenu un exemple parmi d’autres du retour du productivisme et de l’extractivisme en Amérique du Sud.

Pendant longtemps, il était presque impossible de critiquer les politiques menées par les gouvernements progressistes du cône sud sous peine d’être accusés de soutenir l’impérialisme, le néocolonialisme, voire d’appuyer des communautés indigènes ennemies du progrès, défendant leurs intérêts particuliers contre l’intérêt général. Et puis, pourquoi refuser à l’Amérique du sud le développement dont les Européens et Nord Américains avaient honteusement profité (en hypothéquant l’avenir de l’humanité) ? C’était l’époque, pas si éloignée, où les questions environnementales (et pas seulement en Amérique latine !) étaient taxées de problèmes de riches. L’écologie n’étant qu’un « supplément d’âme » pour nantis. Méfiance compréhensible tant les attaques malintentionnées des classes dominantes et de leurs multiples alliés, ulcérés d’avoir été chassés du pouvoir (au moins politique), par des « indios » en plus, faisaient feu de tout bois. Compréhensible aussi parce que les donneurs de leçons sont légions et manquent souvent de l’humilité et de la bienveillance nécessaires pour être entendus par les élu.e.s confronté.e.s aux monstruosités d’une économie mondialisée.

Ces gouvernements progressistes ont donc défendu un modèle exportateur, hérité du passé colonial puis de l’endettement imposé par les États-Unis entre 80 et 90. À leur décharge, le mythe du progrès salvateur était partagé par beaucoup de leurs soutiens internationaux. Privilégier la croissance quelle que soit son origine (dérive ordinaire des gauches du monde entier) en profitant des devises apportées par la reprimarisation [8]de l’économie et en récupérant les revenus spoliés par les classes dominantes.

Le Brésil, presque un continent, 17 fois la France, 6e rang des économies mondiales en 2011, ce qui ne l’empêchait pas d’être, à cette date, parmi les 10 pays les plus inégalitaires du monde. Le 1 % de la population la plus fortunée percevait 23,2 % des revenus entre 2010-2015, selon Pedro Ferreira de Souza, chercheur à l’Institut de recherche économique appliquée (IPEA). Les 10 % les plus riches bénéficiaient de plus de la moitié des revenus en 2015 (à peine moins qu’en 2011) la proportion est restée sensiblement la même selon Thomas Piketty, la part des 50 % les plus pauvres augmentant légèrement de 11 % à 12 %.

BRÉSIL. Répartition des exportations en 2014. En 2014, le Brésil a enregistré un déficit de sa balance commerciale, le premier en 14 ans à cause des bas prix du minerai de fer et du soja. Il continue à exporter beaucoup plus de tonnes que ce qu’il importe, mais il vend bon marché. La réaction irrationnelle de certains ministres consiste à promouvoir davantage les exportations primaires. Même chose au Pérou pour le cours des métaux, qui représentent 60 % de ses exportations. Ou en Colombie et Equateur, qui n’arrivent pas à payer leurs importations Ni leurs dettes !

 

Le Venezuela posséderait les plus grandes réserves de pétrole au monde, ses exportations constituaient 85 % de son PIB et 50 % du budget de l’État. L’effondrement des prix va avoir des conséquences dramatiques sur la politique de redistribution du gouvernement. Il est certes indéniable que les pressions des « marchés », financières et judiciaires, des multinationales, les sabotages des État-Unis, comme des classes dominantes, ont joué dans les dramatiques pénuries qui ont touché le pays. Pour autant, on doit constater que les sirènes de l’extractivisme ont aussi détourné peu à peu les dirigeants, principalement E Maduro, successeur de H Chavez, d’un développement plus autocentré, tant au niveau énergétique qu’agricole comme nous le verrons plus loin.

Le président bolivien a été confronté aux contestations de ses importants projets d’infrastructure routière et de barrages hydrauliques. Ces grands travaux faisaient fi des consultations des communautés indigènes inscrites dans la constitution, alors qu’ils menaçaient leur environnement, la biodiversité. Leur taille laissait craindre, vu les expériences connues, qu’ils échappent aux contrôles des populations locales tout en ne leur profitant que faiblement. Pour son malheur (?), la Bolivie possède l’une des plus grandes réserves de lithium au monde, élément constitutif des batteries actuelles, dont la demande va exploser. Le gouvernement est donc en train de l’exploiter, « écologiquement », dit-il, mais en asséchant toutes les nappes phréatiques alentour, il pousse à l’exil les petits paysans. Et participe à l’assèchement dramatique qui menace le cône sud (l’Argentine doit rapatrier plus au nord ses plantations de soja, les glaciers du Pérou fondent, etc.). Est-ce un hasard ? Evo Morales s’apprêterait à bafouer le vote populaire en se représentant à un quatrième mandat.

Malgré les nombreuses différences, ces pays ont en commun de n’avoir pu, su ou voulu suffisamment investir dans une économie différente, dans des productions destinées à la consommation intérieure, une agriculture locale, s’appuyant sur le savoir-faire des communautés rurales.

 

L’exemple du Venezuela

La petite et moyenne production agricole et d’élevage fournit plus de 70 % des denrées alimentaires produites sur tout le territoire vénézuélien et joue un rôle économique fondamental dans l’acquisition de la souveraineté alimentaire. Son importance pour la Révolution bolivarienne est également liée au renforcement du pouvoir communal. Ce qui ressort du témoignage d’agriculteurs vénézuéliens [9], dont un membre de la Constituante représentant le secteur paysan, est édifiant sur les méthodes de l’agrobusiness et la servilité des autorités, en l’occurrence, le successeur de H. Chavez, Nicolas Maduro.

« Nous (près de 4000 petits producteurs) vendons des œufs, de la viande de poulet et du fromage de chèvre bien en-dessous des prix spéculatifs à Caracas… Pourtant, le ministère de l’Agriculture privilégie les “pseudo-producteurs” qui importent des denrées alimentaires, des intrants,des produits agrochimiques du soja transgénique. L’une d’elle,“El Tunal”, a bénéficié de dollars à taux préférentiel de la part du gouvernement pour importer des aliments pour animaux. Pendant une semaine, ils ont baissé le prix des œufs, puis augmenté le prix de l’aliment. D’où la faillite des petits producteurs. Un peu plus tard, le prix du carton d’œufs est passé de 6 000 dollars à 80 000 actuellement. Le dumping est une pratique illégale et les lois vénézuéliennes – en particulier la Loi de Sécurité et de Souveraineté Alimentaire – le sanctionne. Pour briser leur résistance, les autres entreprises du secteur ont aussi refusé de leur vendre ces aliments. »

 

Au Brésil

On ne peut nier les graves carences des gouvernements du Parti des Travailleurs (PT) de Lula Da Silva (2003-2011) et Dilma Roussef (2011-2015) en matière de protection de l’environnement (déforestation, usage des OGM et des agrotoxiques, etc.), ou de protection des peuples amérindiens. Le vol de leurs territoires par des latifundiaires s’est poursuivi et, récemment, l’implantation d’énormes infrastructures fédérales comme Belo Monte les chassent de leurs terres. Perte de biodiversité, disparition d’immenses forêts primaires, ce projet à l’image du barrage Tucuri émettra autant de Gaz à effets de serre qu’une combustion fossile [10] !

UNE NOUVEAU FUKUSHIMA BRÉSILIEN : exploités par Vale et le groupe anglo-australien BHP Billinton, rupture de 3 barrages le 25 janvier 19. Des coulées de boue ont dévalé à 80 kms/h, 157 mort-e-s, 182 disparu-e-s. 2 mois après, de nombreux habitants sont sans logement et les pollutions aux métaux lourds touchent cinq États. Trois ans plus tôt, des coulées de boue toxique avaient détruit un village et l’écosystème du Rio Doce jusqu’à polluer l’océan Atlantique à 650 km de là. Vale était déjà responsable de cette catastrophe.

 

Il faut dire que ce modèle extractiviste met en jeu des sommes d’argent immenses. Une entreprise comme Glencore qui contrôle 50 % du marché libre du cuivre, 30 % de celui du charbon et 60 % de celui du zinc, gère un capital équivalant à 1,5 fois le PIB du Pérou…

Des voix se sont rapidement élevées pour s’inquiéter d’une économie aussi dépendante aux terribles conséquences environnementales, climatiques et sociales. Mais, tout aussi rapidement la personnalisation du pouvoir, et pas seulement au Venezuela, où le passage obligé par des alliances contre nature (le système électoral brésilien, par exemple), et les énormes intérêts financiers en jeu ont criminalisé toutes les voix discordantes, laminé les oppositions et réduit à peau de chagrin les avancées démocratiques du début des mandatures.

 

Résistances ? Après 500 ans de discrimination, les peuples indigènes résistent toujours

Parmi ces voix, bien sûr, les indigènes, attaqués de plein fouet par les industries minières ou l’agrobusiness. Apparaissant comme des « minorités » faibles, méprisées, discriminées, (même quand ils sont majoritaires !), ils semblent une proie facile pour les multinationales. Au Pérou, où les Amérindiens représentent 45 % de la population (et les métis 37 %) 14 % du territoire est aujourd’hui sous contrat d’exploration ou d’exploitation minière de l’or, du cuivre ou encore de l’étain. Certaines régions voient même plus de la moitié de leur territoire occupé par des concessions minières, que ce soit en Amazonie ou dans le pays andin. Pourtant, leur résistance ne faiblit pas.

« Il n’y a plus de végétation, nos rivières sont mortes et nos enfants ressortent avec des démangeaisons quand ils se baignent. Voilà ce qu’ils ont fait de nos terres, celle de nos ancêtres. Là-bas, un plant de maïs, un bœuf vaut plus que la vie d’un être humain, que la vie d’un enfant indigène » déclare Ládio Verón, l’un des principaux responsables de l’ethnie amazonienne Guarani du Brésil. Quelques jours après son départ pour l’Europe et la France [12], l’armée a débarqué dans son village.

MANIFESTANTS en avril 2017 à Brasilia, les milliers d’autochtones ont été réprimés violemment. Pour Marize de Oliveira, professeur d’histoire de la communauté Guarani : « Le lobby de l’agro-business tente de détruire nos droits en transformant le Brésil en grenier du monde. » Et réservoir pour matériaux dans nos industries, pourrait–on ajouter ! Ces dernières années, ils ont payé de leur vie leur résistance.

 

« Ce que mangent les Européens – la viande, le maïs – est mélangé avec du sang indien »

En 2017, quatre défenseurs de l’environnement tués chaque semaine à travers le monde !

L’Amérique du sud en tête des zones les plus meurtrières !

C’est dans les pays d’Amérique du sud que les meurtres de défenseurs de l’environnement sont les plus nombreux [13]: en 2017, 32 assassinats en Colombie, 15 au Mexique, 8 au Pérou. Pour la troisième année consécutive, le Brésil apparaissait comme le pays le plus dangereux pour les défenseurs de la terre et de l’environnement, avec 57 meurtres, dont 80 % dans le bassin amazonien.

L’industrie agroalimentaire est le secteur le plus lié à ces meurtres, par exemple, pour l’accaparement des terres afin d’installer des cultures d’huile de palme… remplaçant les entreprises d’exploitation minière qui détenaient auparavant le triste record de cet accaparement. 60 % des homicides relèvent de ces deux domaines à eux seuls.

En Colombie, Hernán Bedoya a été abattu de 14 balles par un groupe paramilitaire parce qu’il protestait contre l’extraction de l’huile de palme et les plantations de bananiers sur des terres volées à sa communauté.

Au Pérou, Lamine de Las Bambas est la plus grande mine de cuivre du pays. Elle est très symptomatique de l’exploitation des ressources du sous-sol. Des manifestations commencées en 2015 ont été durement réprimées. Il y a eu des morts et l’État a décidé d’y instaurer l’état d’urgence. Ce dispositif est toujours en vigueur et les mécanismes de dialogue instaurés par l’État ne fonctionnent pas (source CCFD).

Depuis l’élection du président Jair Bolsonaro fin 2018, la déforestation de l’Amazonie a repris de plus belle et les assassinats de militants écologistes se multiplient.

Le 29 janvier, Rosane Santiago Silveira a été retrouvée assassinée après avoir été torturée chez elle, dans l’État brésilien de Bahía. Elle luttait contre l’expansion des plantations d’eucalyptus qui ravagent la région au détriment des forêts naturelles et des terres nourricières.

DILMA FERREIRA SILVA, coordonnatrice régionale du Mouvement pour les personnes affectées par les barrages (MAB) a été torturée et abattue le 22 mars 2019. Elle se battait depuis une trentaine d’années pour les droits des populations affectées par le projet de barrage hydroélectrique de Tucuruí (Enquête France Info, 17 mai 2019).

 

Ces exemples ne sont qu’une infime partie des assassinats perpétrés par les forces armées ou des milices à la solde de multinationales ou de latifundistes. Les femmes payent d’ailleurs le prix fort dans ce combat.

« Nous allons demander de cesser d’acheter du soja brésilien […]. Si nous ne recevons pas d’aide de l’extérieur, nous allons commencer à brûler les cultures, les usines d’éthanol, à entrer en action. Nous sommes fatigués de parler calmement, nous sommes maintenant prêts à aller au-delà, car c’est notre survie qui est en jeu ».

 

Nos gouvernements sont-ils complices ?

Pour Ládio Verón, « l’un des principaux responsables reste le modèle capitaliste, et donc l’Europe, passionnée par les importations » [14].

Le rapport « At What Cost ? »[15]montre bien que cette violence est directement liée aux produits que nous stockons dans nos placards. En effet, l’agriculture à grande échelle, l’extraction minière, le braconnage et l’abattage produisent des matériaux et ingrédients qui entrent dans la fabrication de produits vendus en supermarché comme l’huile de palme pour les shampooings, le soja pour nourrir les bovins, et le bois pour les meubles ;

Pourtant, on ne peut guère ignorer l’urgence climatique et l’absolue nécessité de ne plus consommer d’énergies fossiles, de ne plus déforester, de ne plus gâcher l’eau, de ne plus tuer les sols. En un mot, d’abandonner le productivisme et un modèle de développement insoutenable et criminel. Or, préserver les terres indigènes, qui représentent 13 % du territoire brésilien, c’est instaurer un rempart contre la destruction de la forêt. En effet, ils ne participent qu’à 2 % de la déforestation de la forêt tropicale.

Au contraire, le gouvernement Bolsonaro met à exécution ses promesses de campagne : en finir avec la démarcation des terres indigènes et ouvrir ces dernières à l’exploitation minière, agricole et forestière. Il projette une déforestation massive de l’Amazonie, promeut l’usage massif de pesticides (fait rarissime dans le monde, 150 nouveaux produits toxiques sont autorisés, et 37 % du soja importé dans l’Union européenne vient du Brésil), et multiplie les attaques contre les populations autochtones…

COMMENT réagit le gouvernement français qui se targue de défendre les droits humains, le climat, l’environnement, la biodiversité et vient de recevoir le chef Raoni ?

 

Le ministère de l’Économie et des Finances et le grand patronat français accueillent une délégation de ministres, gouverneurs et gros industriels brésiliens pour discuter des « opportunités » économiques offertes par les privatisations et les projets industriels au Brésil. (Basta ! 21 mai 19).

 

Qu’ajouter à cette démonstration attendue d’un cynisme indécent ?

Qu’heureusement des luttes sont victorieuses, que les Amérindiens ne sont pas seuls à résister, que la solidarité existe, fondamentale pour défendre notre humanité commune et notre unique planète.

Et que, ici aussi, les mythes du progrès technique, de la croissance infinie, du dieu économie nous bercent de leurs illusions mortifères.

 

  • [1] C’est une mesure statistique permettant de rendre compte de la répartition des salaires, revenus, patrimoines au sein d’une population. Autrement dit, il y mesure le niveau d’inégalité.
  • [2] Gisement de pétrole découvert dans le Parc naturel Yasuni, en Amazonie, au cœur d’un des milieux les plus riches en biodiversité de la planète. Projet déjà proposé par des écologistes en 1997 lors de négociations sur le climat. Et repris par Alberto Accosta alors allié à R Correa.
  • [3] Succédant à Lula Da Silva, dans un contexte de récession, devenue impopulaire, elle sera destituée par d’anciens alliés corrompus sous le prétexte de mensonges sur le budget. Par contre, es accusations de corruption ont toutes été levé.
  • [4] Condamné sans preuves à 12 ans de prison ( !) pour avoir été soit disant rémunéré (sous la forme d’un appartement triplex) à la suite de la passation d’un marché entre une entreprise privée et Pétrobras, le géant pétrolier national.
  • [5] Ce nom provient de la stagnation de l’activité aux Pays-Bas dans les années soixante-dix après la découverte d’un gisement de gaz naturel. La surévaluation du taux de change va réduire la compétitivité des autres entreprises exportatrices. Celles-ci voient alors leurs profits diminuer, ce qui renforce les incitations à développer l’activité extractrice.
  • [6] Pour l’Institut de recherche et d’information socio-économique (IRIS), le terme vient d’extraction. « On retire une ressource (minérale, pétrolifère, agricole, animale, sylvicole, etc.) du milieu naturel, puis on la vend sur les marchés, habituellement, internationaux« . C’est probablement l’intellectuel uruguayen Eduardo Gudynas qui a popularisé ce concept.
  • [7] Selon Alternatives au Développement Extractiviste et Anthropocentré (ALDEAH) avant son arrivée au pouvoir, « 30% de l’Amazonie équatorienne était concessionnée aux entreprises pétrolières, aujourd’hui, c’est presque 80 % ».
  • [8] Production majoritaire de matières premières, agricoles, minérales, etc, au détriment d’industrie fabricant des produits transformés.
  • [9] Venezuela infos, 27 novembre 2017
  • [10] Etude de Earthscann, nov 2000
  • [11] Pour mieux comprendre leur extraordinaire survie, lire le passionnant témoignage, « Moi, Rigoberta Menchù », recueilli par E. Burgos, édité par Gallimard en 1983
  • [12]Reporterre, 19 mai 2017
  • [13] D’après l’ONG Global Witness qui révèle aussi que 197 activistes ont été assassinés en 2017.
  • [14] Toutes les citations sont extraites de Aphadolie, 23/02/2018
  • [15] Rapport de 17 Feb 2018 publié par Global Witness en collaboration avec le quotidien anglais The Guardian