La guerre des fossiles, l’éternel retour

La guerre des fossiles, l’éternel retour

Scandale : loin de l’obligation d’abandonner totalement l’exploitation des énergies fossiles pour préserver le climat, des pays méditerranéens s’affrontent pour des forages offshore, appuyés par des majors du gaz et pétrole, peu préoccupés par les émissions de CO2, comme le champion français Total. Et jouent un conflit multipartite qui n’a pas pour seul objectif des forages en Méditerranée.

L
a Turquie, bafouant des accords internationaux qu’elle n’avait pas signés, est entrée dans les eaux territoriales grecques. À sa décharge, comme l’ont fait remarquer certains spécialistes de la région, la répartition des frontières maritimes lui est défavorable, car lui interdisant tout couloir maritime de ce côté de la Méditerranée. C’est une source de conflit jamais résolue depuis des décennies.

 

Derrière les forages, le nationalisme ou comment reconquérir les peuples

Le gouvernement turc a donc introduit un bateau spécialisé dans les forages dans cette zone pour explorer les riches réserves en hydrocarbures qu’elle recèlerait. Face à la crise mondiale et moyen orientale, il s’agirait pour l’économie turque d’améliorer son indépendance énergétique qui lui fait défaut. Ce n’est sûrement pas là son seul objectif. En effet, certains observateurs soulignent que l’extraction du gaz ne serait guère possible avant des années et serait très couteuse.

La crise économique et sociale menace la popularité du Président E. Erdogan, comme l’ont montré les résultats aux municipales. Face aux contestations, une répression de plus en plus violente frappe tous les mouvements démocratiques (et pro-kurdes, bien entendu). Or, rien de tel qu’un conflit pour étouffer les paroles discordantes et aiguiser le sentiment nationaliste, en particulier contre l’UE (cf. le refus humiliant de son intégration) dont la France : on a entendu les invectives de membres éminents du gouvernement turc. Et bien évidemment contre le voisin proche, avec lequel les pommes de discorde sont multiples.

La Grèce, elle aussi, convoite ces réserves, puisqu’elles sont dans ses eaux territoriales. Élargissant la zone de conflit, elle s’est alliée à l’Égypte pour contrer l’alliance turco-libyenne qui s’est affirmée depuis quelques années. Mais ses objectifs ne se limitent pas non plus à de simples intérêts économiques. Le gouvernement grec, de droite, est lui aussi confronté à une crise sociale importante à laquelle s’ajoute l’accueil des migrant.e.s que lui a lâchement abandonné l’UE.

Des discours aux actes, la politique écologique française sans masques…

Face à cette crise géopolitique sur fond de course aux hydrocarbures, les discours écologiques du président français s’arrêtent aux frontières Nul rappel de la Cop 21 ou des résolutions de la convention citoyenne, aucune allusion au réchauffement climatique et à l’obligation de laisser sous terre 80% des énergies fossiles. Ni au danger que court la Méditerranée avec des forages maritimes dont on connaît les risques, alors qu’elle est déjà menacée par une dramatique pollution et une intense circulation maritime.

Mais avec des intérêts bien compris

Pas d’acte diplomatique non plus jusqu’au 20 septembre, pour des négociations entre deux pays tous deux pourtant membres de l’Otan. Mais une action militaro-commerciale puisque la France a envoyé une frégate et deux rafales pour soutenir la Grèce. Simple renfort contre une Turquie de plus en plus invasive? Sans doute, puisqu’un affrontement avait déjà eu lieu en Juin en Méditerranée. Paris avait alors bloqué un navire turc soupçonné de livrer des armes en Libye malgré l’embargo international. Certes, cette Intervention était alors sous contrôle de l’Otan, mais cela ne peut occulter que les deux protagonistes, France et Turquie, soutiennent en Libye des belligérants opposés. Et que la politique étrangère française s’est fait une spécialité dans l’industrie d’armement et le commerce des armes, comme le souligne la vente de rafales à la Grèce, dont l’économie aurait vraiment besoin d’autres investissements.

Course aux énergies fossiles, vente d’armes, résolutions des conflits par des rapports de force militaires… est-ce ainsi que le gouvernement français compte lutter contre le réchauffement climatique, la destruction de la biodiversité et pour la paix ? En prenant le risque qu’une étincelle mette le feu à la Méditerranée ? 

On peut parier qu’avec la guerre commerciale et la diminution des ressources, on n’en a pas fini avec les conflits aux toiles de fond énergétique. Ainsi même dans le conflit du Caucase… Ou dans celui du Sahara occidental…

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Et en Amérique latine, des questions écologiques où on ne les attendrait pas

« Au Chili, c’en est fini de la Constitution maudite de la dictature »

En 2019, comme partout dans le monde, les chiliens se sont massivement révoltés contre une économie inégalitaire, une augmentation incessante de la pauvreté et une démocratie sous contrôle. La Covid a interrompu un temps les imposantes mobilisations ( jusqu’à 1 million de personnes rien qu’à Santiago, pour une population totale de 15 millions d’habitant.e.s) , qui se sont transformées alors en mouvements de solidarité concrète, des paniers alimentaires ou sanitaires portés par les jeunes aux plus démuni.es. Mais le mouvement a repris et obtenu l’organisation d’un référendum pour en finir enfin avec les restes institutionnels de la dictature.

Or, outre les questions démocratiques que posait d’évidence cette constitution, elle contenait un interdit méconnu, avec des conséquences écologiques directes : l’imposition d’un modèle ultra libéral dont privatisation de l’eau.

80% de la population est privée d’eau

Or, avec le réchauffement climatique, les pollutions, la sécheresse gagne, une partie du pays est menacée de désertification. Alors que 98% des ressources hydrauliques sont confisquées par les industries extractives ( comme le cuivre ou récemment, le lithium), une agriculture industrielle très avide d’eau, viticulture et avocat, par exemple. Hé oui ! les avocatiers ont envahi le Chili pour répondre à la demande croissante des pays européens, dont, bien sûr, la nôtre.

-> Lisez cet entretien pour Médiapart, mené par Fabien Escalona.

 

En Bolivie, fin d’un coup d’État reconnu par la communauté internationale

En Bolivie, souvenez-vous Evo Morales, président d’origine autochtone, accusé d’avoir triché aux élections, avait été destitué et avait dû s’enfuir. La présidente de l’assemblée, une personnalité d’extrême droite, d’un racisme sans complexe, avait alors pris le pouvoir. Des experts indépendants ( voir Bruit des arbres N°4) avaient démontré que les accusations à l’encontre du président étaient de pures manipulations. Nulle surprise donc, mais un grand soulagement avec la victoire de son parti, le MAS ( Mouvement vers le socialisme), qui a gagné les dernières élections avec plus de 52 % .

Certes, Evo morales avait fait des erreurs, comme se présentait à un 4 ème mandat pourtant interdit par la constitution qu’il avait lui-même promulgué. Ou encore promouvoir des projets énergétiques peut être utiles, mais proposant des grands travaux ( barrages), au détriment de populations, de minorités, de l’environnement. Un autre exemple c’est le lithium dont la Bolivie possède une réserve importante. Son exploitation était présentée comme respectueuse de l’environnement, mais elle exige énormément d’eau, et nombre de paysans ont dû partir faute de pouvoir continuer à cultiver.

Aucune condamnation dans ce constat : c’est l’impossible gageure d’une volonté de développement s’appuyant sur une redistribution indispensable et donc sur une exploitation des ressources pour obtenir des finances.

Le nouveau président s’est engagé à aller vers des positions plus environnementaliste, telle , par exemple, une interdiction des OGM cultivés dans le Sud du pays, ce que son prédécesseur n’était pas parvenu à faire.

Extraits du discours d’un indigène, tellement écologiste… 

Unité des peuples boliviens, lien à la terre, à la nature, aux connaissances ancestrales, pour le Bien vivir, de chacun.e, et de toutes et tous, contre l’anthropocentrisme et l’européocentriste, contre les maitres, personne n’appartient à personne. Construire dans le consensus, l’horizontalité, pour le bien commun. Échapper aux dérives du Pouvoir est difficile, c’est notre défi. Révolution des idées, des équilibres, pour transformer les institutions, se changer soi-même. Contre la pensée unique, patriarcale… Le pouvoir doit circuler

-> Visionnez ici en français l’intégralité du discours d’investiture du vice-président de Bolivie M. David Choquehuanca du 8 novembre 2020 :