Photographe et réalisateur, militant EÉLV et créateur du collectif écologiste Climat Social, qui prône une transformation politique et sociale radicale de la société, le jeune et ardent Matthieu Ponchel est l’un des initiateurs de l’appel des artistes en soutien aux mouvements des gilets jaunes, “Nous ne sommes pas dupes”.
GILLES BÉNARD : Bonjour Mathieu. Nous publions le manifeste dans le journal Le Bruit des Arbres – Fin du moi début du nous. Près de 30 000 artistes – et autres – ont déjà signé. Comment a germé cette idée, ce désir qui a fait émerger ce manifeste ?
MATHIEU PONCHEL : L’idée a bien sûr germé dans la rue. Trop de samedis se sont enchainés sans l’ombre de nos ami.e.s artistes ou se revendiquant intellectuel.le.s aux côtés des Gilets Jaunes. C’était à nos yeux inacceptable. Le moment était historique et bouillonnant, il fallait y prendre part ou du moins le soutenir tant les revendications étaient justes et la colère justifiée.
Après un samedi de marche, un jour de mars, nous écrivons avec ma petite amie une tribune publiée dans le Huffington Post : une lettre ouverte, adressée à nos ami.e.s et plus généralement au monde de la culture, avec comme question centrale : pourquoi n’êtes vous pas de cette bataille ? Le texte est rapidement relayé et quelques jours plus tard, nous recevons le coup de fil d’un scénariste, Emmanuel Leduc, qui se retrouve dans nos mots et qui propose, avec des ami.e.s à lui producteur.rice.s, musicien.ne.s, créateur.ice.s, de se rencontrer et d’imaginer ensemble la réponse du monde culturel. Nous faisons alors la rencontre de cette joyeuse bande et découvrons que nous ne sommes finalement pas si seul.e.s. Premier soulagement.
Les idées fusent, les envies s’agrègent, et nous décidons ensemble d’écrire un appel, que nous souhaitons signé par le plus grand nombre et surtout par des voix « qui portent ». L’idée est double : faire un coup médiatique qui sera un caillou de plus dans la chaussure de Macron ET surtout, créer un autre canal de diffusion et de soutien aux gilets jaunes et énoncer haut et fort que désormais le monde de la culture soutient le mouvement, se retrouve dans leurs revendications, et dénonce sans ambiguïté la répression, la manipulation et la politique que nous infligent Macron et sa bande.
Finalement, émerge la nécessité de raconter autrement les gilets jaunes, alors stigmatisés par les médias dominants, et d’écrire avec eux un nouveau récit « vers un monde meilleur ». La propagande a assez duré, il nous faut raconter ce qu’est réellement ce mouvement, ce qu’il porte et ce qu’il défend pour nous tou.te.s. Et à ce jeu, nous, artistes et créateur.ice.s, sommes bien armés.
GB : Penses-tu que cet appel est un pas de plus vers ce qu’on appelle (et espère) aujourd’hui, un début de « convergences des luttes écologistes et sociales » qui se profilerait pour renverser le cours mortifère actuel ?
MP : Totalement. Je partage l’avis de Ruffin sur ce sujet : à un moment, quand le cour des choses était à son paroxysme, peut-être vers le mois de décembre, le pouvoir aurait pu tomber, je le crois, si les classes plus aisées, les syndicats et le monde culturel avaient rejoint le mouvement. Ça aurait basculé, j’en suis persuadé.
On le sait désormais, les grandes fortunes ont eu peur, elles ont même poussé Macron a « donner » des gages aux gilets jaunes, c’est dire. Et sans le filet de sécurité des classes les plus favorisées, je nous compte dedans, Macron ou sa politique aurait pris un gros coup.
Certain.e.s nous reprochent donc et à juste titre d’arriver (trop) tard. Ma conviction, c’est qu’il vaut mieux tard que jamais. L’histoire des mouvements révolutionnaires nous l’apprend.
En outre, convaincre les gens, ça prend du temps. On peut le déplorer mais c’est comme ça. Maintenant, ce qui compte, c’est l’effet que peut avoir ces signatures dans cette lutte. Et je crois que c’est une pierre de plus dans la bonne direction et, pour reprendre tes mots, un pas de plus pour renverser le cours mortifère actuel qui finalement nous concerne tou.te.s.
Il y a déjà un changement perceptible : les grands médias commencent à questionner les violences policières et la réponse totalement disproportionnée et aberrante du pouvoir. C’est un signe que le vent tourne, que peut-être la bataille se gagne finalement. C’est ça la « convergence des luttes » : à un moment, les idées qui semblaient radicales ou qui étaient occultées, bien que partagées par un grand nombre, deviennent évidentes. Et les hontes individuelles deviennent des colères collectives pour reprendre les mots des gilets jaunes.
GB : Est-e ce qu’enfin (et pas Canfin !!!) aujourd’hui, on peut penser à travers ce texte et l’analyse des revendications des Gilets Jaunes qu’il soutient, que l’environnemental est indissolublement lié au social, et comment ?
MP : Évidemment. Il suffit d’aller dans les rues tous les samedis. Le nombre de pancartes ou de dos de gilets jaunes se référant à l’écologie est stupéfiant. Il y avait d’ailleurs, dès les premières revendications nationales des gilets jaunes des points clairs sur l’écologie : taxe sur le kérosène, sauvetage des services publics, renforcement des transports en commun, etc. Le gouvernement a voulu faire croire qu’il était écologiste en taxant un polluant certes, mais que les gens les moins fortunés n’ont d’autre choix que d’utiliser quotidiennement. La manip n’a pas pris. Les gilets jaunes sont les premiers à comprendre que l’écologie et le social sont liés. Ce sont les riches qui polluent le plus, ce sont les grandes entreprises, les mêmes qui défendent toujours plus de « flexibilité » dans le travail, moins de « charges »…
En définitif, comme nous l’énonçons dans l’appel, les gilets jaunes demandent des choses simples : de la dignité, plus de démocratie, plus d’écologie. Et tout est lié. La dignité, c’est de vivre correctement et non de survivre, c’est de respirer un air propre, c’est d’avoir son mot à dire, de reprendre le contrôle de sa vie…
Voir l’appel “Nous ne sommes pas dupes” signé notamment par Juliette Binoche, comédienne ; Emmanuelle Béart, comédienne ; Jeanne Balibar, comédienne, réalisatrice ; Swann Arlaud, comédien ; Bruno Gaccio, auteur ; Anne-Laure Gruet, actrice, réalisatrice ; Gérard Mordillat, romancier, cinéaste ; Annie Ernaux, écrivaine ; Edouard Louis, écrivain ; Stanislas Nordey, metteur en scène comédien ; Denis Robert, écrivain ; Yvan Le Bolloc’h, chanteur, comédien ; Elli Medeiros, artiste ; Marion Montaigne, autrice de BD ; Gilles Perret, réalisateur ; Alain Damasio, écrivain ; Liliane Rovère, comédienne ; Jean-Claude Petit, compositeur, chef d’orchestre ; Anouk Grinberg, actrice ; Frank Margerin, auteur de BD ; Simon Abkarian, comédien ; China Moses, musicienne ; Alexandre Gavras, producteur ; Fanny Cottençon, comédienne ; Guillaume Brac, cinéaste ; Julien Seri, réalisateur ; Mireille Perrier, comédienne ; Alain Guiraudie, cinéaste ; Emile Bravo, auteur de BD ; Luis Rego, comédien ; Olivier Rabourdin, comédien ; Christian Benedetti, metteur en scène directeur ; Christine Boisson, actrice ; Jean-Pierre Thorn, cinéaste ; Sam Karmann, acteur réalisateur ; Anne Alvaro, comédienne ; Bernard Blancan, comédien réalisateur ; Xavier Durringer, auteur réalisateur ; Pierre Schoeller, cinéaste ; Florent Massot, éditeur ; Martin Meissonnier, compositeur, réalisateur ; Aline Pailler, productrice radio ; Stéphane Brizé, réalisateur ; Dominique Cabrera, réalisateur ; Jacques Bonnaffé, comédien ; Mariana Otero, réalisatrice ; Laurent Bouhnik, réalisateur ; David Hermon aka Cosmic, musicien ; Jean-Pierre Duret, ingénieur du son, réalisateur documentaire ; Blandine Pélissier, metteuse en scène ; Ludovic Bource, compositeur ; Niko Kantes (Sporto Kantes), musicien ; Robert Guédiguian, réalisateur producteur ; Ariane Ascaride, actrice.
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