CORONA Pendant la pandémie, la guerre continue : au Sahel, une stratégie vouée à l’échec

CORONA Pendant la pandémie, la guerre continue : au Sahel, une stratégie vouée à l’échec

À Pau, en janvier 2020, en réaction à la mort de soldats français, le président Macron a convoqué une réunion réunissant les dirigeants des pays du Sahel, Burkina Faso, Mali, Mauritanie, Niger et Tchad. À la suite de ce G5, il a décidé d’envoyer 600 militaires et 100 blindés de plus pour renforcer l’opération Barkhane. Pourtant, depuis sept ans que dure l’intervention au Mali, la menace djihadiste n’a pas reculé, au contraire, elle s’est étendue à tout le Sahel.

P
our les écologistes, il est évident qu’une politique qui se limite à des actions militaires ne peut en aucun cas suffire à ramener la paix1. C’est une fuite en avant vouée à l’échec si rien n’est fait pour répondre à ce qui l’a provoqué. Or, il apparaît de plus en plus évident que l’intervention de 2013 s’est appuyé sur un  diagnostique erroné. De plus en plus de spécialistes2 analysent la déstabilisation du Mali non comme le résultat de l’émergence du djihadisme mais comme un effet de sa propre situation interne : misère, corruption, inégalités et discriminations territoriales. La présence militaire française n’a donc fait qu’aggraver la crise. Il est grand temps de le reconnaître.

En effet, le gouvernement Hollande et son ministre Laurent Fabius ont bien imposé quelques réformes aux dirigeants maliens, sans grand effet. Au contraire, ils ont obligé le gouvernement transitoire à tenir en urgence des élections, sous peine de ne pas recevoir d’aide financière. Faire voter dans un pays où la paix n’est pas encore établie, où les listes électorales ne sont pas à jour, où les administrations ne sont pas fiables, c’est empêcher tout changement. Les mobilisations citoyennes, les partis d’opposition n’ont pas eu le temps de s’affirmer. Sans surprise, “l’homme de la France” a gagné, et avec lui, le même système a continué… en pire, comme le montre l’état de la société malienne, violences, destruction de l’agriculture, etc.

Nous sommes alors obligés de nous interroger sur une stratégie qui, aux dires mêmes des militaires, est vouée à l’échec. Ne servirait-elle principalement qu’à protéger des gouvernements favorables aux intérêts français ? Le soutien répété toutes ces années aux élections truquées de nombre de pays francophones, favorables à de vraies dictatures et aux dynasties héréditaires, le laisserait penser. À comparer avec le profond silence qui a accompagné la répression des différents secteurs qui s’y opposaient, pour la démocratie, la justice, l’égalité, une souveraineté alimentaire et économique,etc (encore dernièrement, fin 2019 au Togo, 2020 en Guinée).

Des revendications que contredisent les Accords de Partenariat Commercial (APE) que signe l’UE, avec l’appui sans faille de la France, puisqu’ils détruisent les économies locales en ouvrant des marchés africains aux entreprises et agricultures européennes. Sans oublier les opportunités offertes à “nos” multinationales, (parfois par la coopération décentralisée, ou par l’AFD et ses aides contraintes), alorsqu’ellesexploitent les populations , détruisent l’environnement et , favorisant les émissions de GES, mettent en péril l’humanité tout entière.

Hasard ? une des bases militaires françaises au Niger n’est pas très éloignée de la mine d’Arlit, oùOrano, exAreva, exploite l’uranium du Niger et fournit 1/3 des besoins de ses centrales nucléaires. On pourrait se réjouir de sa prochaine fermeture si l’entreprise ne laissait pas derrière elle un environnement dévasté, terres et eau polluées, une population contaminée et toujours aussi pauvre : après 40 ans d’exploitation, ce pays est toujours le dernier du palmarès mondial de l’Indice de Développement Humain (IDH). Ce n’est pas mieux avec Total et le pétrole duTchad, avant dernier, 187 e, mais dont le gouvernement dictatorial et son armée sont pourtant les alliés indispensables de la France pour le maintien de l’ordre au Sahel. On pourrait aussi citer les transports, propriété de Bolloré au Burkina Faso, les déchets, l’eau avec Veolia ou Suez, etc.

Il n’est donc pas souhaitable que l’industrie extractive, avec les nouvelles mines d’or ou réserves pétrolières, deviennent le nouveau mirage économique de ces pays. 70 % de la population vit difficilement de l’agriculture, dont l’élevage, un secteur sacrifié par les gouvernants. Pourtant de récentes expérimentations montrent qu’il est possible de la développer en échappant à la fatalité des sécheresses et des pluies torrentielles, aggravées par le réchauffement climatique.

On peut sans doute aussi ajouter une autre explication à la présence militaire au Sahel : l’externalisation par l’UE de ses politiques migratoires. Depuis 2016, elle paye une vingtaine de pays africains pour limiter les arrivées de migrants, principalement au Niger, mais aussi au Tchad. C’est ainsi que la bonne gouvernance en matière migratoire est devenue une des “conditionnalités” à l’octroi de l’aide au développement ! Pour s’attaquer aux “causes profondes de la migration irrégulière… en Afrique” un Fonds Fiduciaire d’Urgence de 1,8 milliard d’ € a été créé, augmenté, fin 2017, de 274,2 millions d’ € en soutien au Sahel et au bassin du lac Tchad. Drôle de réponse, dénonce Oxfam : « La plupart des projets visent … des mesures de confinement et de contrôle des migrations (55 % du budget alloué), … des actions de sensibilisation aux dangers de la migration irrégulière (4%) … des réformes stratégiques pour les retours (25 %) et l’identification des ressortissants de pays (13 %) ».

Bénéficiaire collatéral, le géant de l’armement français Thales, fournisseur reconnu de matériel militaire et de sécurité pour la sécurisation des frontières et de systèmes et équipements biométriques.

Comme le montrent les manifestations “anti-France” qu’ont noté les médias dès janvier 2020, les populations sont de moins en moins dupes des objectifs affichés pour ces opérations militaires. La guerre et ses destructions, les exactions des armées, qui dépassent même parfois celles des terroristes, l’humiliation de devoir demander l’aide militaire à l’ex puissance coloniale, le soupçon d’ intérêts occultes, favorisent l’embrigadement djihadiste.

Les pays du Sahel sont les plus pauvres d’Afrique, sans que ce soit seulement dû, comme on le croit à tort, à leur situation géographique et à leur climat. Victimes des pratiques économiques, diplomatiques et militaires de la France et de l’UE, avec la complicité de leurs gouvernements, ils subissent un développement prédateur et destructeur, et un réchauffement climatique plus important qu’ailleurs. Seule la fin de la domination économique, du pillage des ressources, mettra un terme au conflit. Cela exige aussi des changements fondamentaux dans notre propre développement.

Comme pour la pandémie, il faut sortir d’une mondialisation qui impose des modèles énergivores, et donc l’ industrie extractive, exporte et subventionne l’agriculture industrielle et ses monocultures au profit des multinationales et entreprises français ou européennes. Cela ne pourra se faire qu’en parallèle avec une transition écologique des pays consommateurs. Au contraire, il est nécessaire de favoriser le redéploiement des cultures vivrières, l’appui aux paysans et à leurs savoirs, et un développement autonome, élaboré avec les populations et répondant à leurs besoins.

Le Fonds vert promis par la Cop 21, qui tient compte de la “dette écologique” des pays industrialisés, doit être débloqué mais doit être géré par les habitant.e.s et ONG locales.

Bien sûr, l’UE doit cesser d’externaliser sa politique migratoire et doit réorienter les fonds qui lui sont consacrés à des projets favorisant la résilience des pays sahéliens, en particulier, au niveau climatique.

Aujourd’hui , le coronavirus exige de sortir rapidement de la stratégie militaire. Il est nécessaire de remplacer peu à peu les militaires par des forces de médiation, à l’exemple de ce qui avait été tenté au Kossovo, ou encore au Rwanda, avec les sociétés civiles et en lien avec l’OUA . Ce qui demande un appui d’autant plus affirmé aux transitions démocratiques que la crise sanitaire peut favoriser une augmentation des répressions (voir l’exemple du Niger et Guinée).

FRANÇOISE ALAMARTINE – Février/avril 2020
avec les relectures précieuses de Robert Aarsse, Cécilia Joxe, Sylvain Garel, Gérard Lévy et Christine Surdon

 

1 : Rémi Carayol,Le Monde diplomatique, juillet 2019

2 : https://www.franceculture.fr/emissions/le-temps-du-debat/qui-veut-encore-de-la-france-au-sahel

Avec, en particulier, Marc-Antoine Pérouse de Montclos, auteur de Une guerre perdue.
La France au Sahel, Jean-Claude Lattès (2020).