CORONA Témoignage cru d’un infirmier

CORONA Témoignage cru d’un infirmier

Un soignant tombe le masque. Chapeau bas.

J
e témoigne en tant qu’infirmier habitué des Ehpad (Établissements hospitaliers pour personnes Agées Dépendantes) et autres structures prenant en charge des personnes âgées. Depuis 10 ans j’évolue dans ce milieu. Étant issu du milieu associatif, j’ai été frappé par cette différence de valeurs.

Avec du recul, je me rend compte que toute initiative ou envie du terrain sont vite annihilées. Le gros point noir c’est cette austérité, les économies à tout va. Nous avons pu nous battre, être formés pour améliorer la prise en charges de nos aînés, mais ce qui prime toujours, c’est faire des  économies.

Pas de matériels, pas de personnel, plus de motivations, un découragement total des soignants à force de se battre contre du vent.

 

Donc en tant que fonctionnaire on fonctionne…

Nous nous plions au désidératas de petits chefs avides de pouvoirs (qui ont choisi eux-mêmes de s’éloigner des soins, ce qui pose question, entres autres choses) donc on s’auto-remplace, nous revenons sur nos congés, nous répondons toujours présents pour combler les défauts techniques administratifs, sociaux, etc.

 

Nous sommes des fusibles qui chauffons depuis plus d’une décennie

Prêts à exploser, mais toujours nous fonctionnons. Nous fonctionnons comment ? Classiquement , lever à 5h30 pour aller travailler à 6h30 jusqu’à 14h ou 13 à 21h ou encore 21h-7h… on peut faire les trois par roulement, celles et ceux qui enchaînent des « 4 jours, 1 repos », ou 4 ou 5 jours d’affilés, ou bien enchaîner des postes d’après-midi et passer au matin le lendemain parce que nous préférons passer sur les droits du travail et enchaîner nos douleurs que de les étaler en sacrifiant toujours plus . Bien sûr nos chers cadres préfèrent nous faire signer des décharges pour cet enchaînement plutôt que de trouver des solutions mais bon… il n’y a même plus de décharges, c’est maintenant instaurer de se coucher vers 00h (quand on sort à 21h nous ne sommes pas disposés à nous coucher) et se lever à 5h30.

Les congés, on n’en parle même pas ! Ou les cadres nous balancent les plannings et c’est la foire d’empoigne (avec comme seul critère, il faut tant de présences pour tant de postes). Encore un management intelligent qui a un impact énorme sur l’ambiance entre soignants (entres celles et ceux qui doivent faire le choix de pas être en congé avec leur conjoint.e.s ou leurs enfants, pour les plus faibles qui ne sauront pas s’imposer…).

 

Tout ça pour 1700 euros par mois pour un.e infirmier.e au bout de 10 ans !!!

Infirmières et infirmiers qui voient leurs tâches évoluer, qui se confrontent de plus en plus aux familles clientélistes qui font plier nos employeurs par peur de représailles judiciaires. Donc on se plie, on accède à leurs désidératas, on perd du temps et nous appliquons une médecine à deux vitesses…

Quant aux résidents, nous les accompagnons comme nous pouvons dans ce contexte, en général, ils meurent seuls sans accompagnement avec des protocoles de « mise à mort » hypocrites sous couvert de protocoles ubuesques… À quand un véritable accompagnement de la fin de vie ? l’État nous demande de travailler sur des « projets de vie », à quand nous poserons-nous pour travailler sur des « projets d’accompagnement à la mort ? » Je comprends que nos médecins soient formés pour défendre la vie mais en ce qui concerne la mort, on se sent bien seul… Bref à quand une réelle réflexion sur la maîtrise pour chacun de choisir sa fin de vie ???

 

Mais tout ça, c’était avant…

Avant cette épidémie qui nous met tous à rude épreuve, qui ne fait qu’exacerber les difficultés de la politique de santé menée depuis près d’une vingtaine d’années, exacerber nos difficultés de manque de matériel et de moyens humains au prix de notre sécurité et de celle de nos proches.

Mais j’ai contracté le virus dès le début avec le patient 0 de ma structure, suspect mais pas diagnostiqué. L’isolement de tout le service a alors été de mise, dès le début, . Il y avait 600 masques FFP2 en stock disponible, mais bloqués par la direction (ordre de l’ARS pour gonfler les stocks stratégiques de l’État  ???). Bref, pas d’accès à ces masques… nous n’avions que des masques chirurgicaux disponibles avec sur blouses, charlottes et lunettes. J’ai donc été rapidement malade 4 jours après cette prise de service. J’ai contacté dans cette période 2 fois le SAMU pour être testé (étant prioritaire en tant que soignant) : refus, pas de test disponible, ils ne sont réservés qu’aux malades hospitalisés !

Encore une fois non considéré, alors qu’il savait que j’étais infirmier, le SAMU ne mesure pas l’impact de ce genre d’actes, combien de mes collègues, ayant la « vocation », sont retournés travailler avec des symptômes modérés ? Alors qu’ils vont juste répandre cette plèbe auprès de vos anciens ?

Encore une fois, ceux du terrain doivent faire preuve de créativité et d’initiatives pour que cette catastrophe soit amoindrie, nous ne comptons plus sur personne et certainement pas sur ceux qui croient nous diriger…

L’Histoire, je l’espère, saura faire la part juste à cette crise et ramener nos pratiques à plus de proximité, plus de solidarités et surtout plus de considérations pour ceux et ce qui nous entourent.

 

Un infirmier anonyme mais bien réel…