Bruit des Arbres – Opus de juin 2020
PAR FRANÇOIS LOTTEAU
Un poème
Le printemps n’est plus
Qu’un lointain décor
Le temps des cerises
N’est pas revenu
Profonde est ma peine
De raison parée
La peur a chassé
L’air de liberté
Qu’on avait en tête
Muette est ma peine
Quand nous entendons
À nouveau chanter
Le gai rossignol
Qu’avons-nous en tête ?
Plus douce est ma peine
Quand nous entendrons
À nouveau tourner
Machines et moteurs
Ferons-nous la fête ?
Éclate ma peine
Je rêve d’un monde
Où ceux qui nous tiennent
En laisse mangeront
Leur argent et nous
Le pain couleur d’or
Finira ma peine
Les lapins mangeaient tout, un vrai fléau. En Sologne, ayant entendu dire qu’ils ne s’en prenaient pas à l’osier, un homme en planta. Ça poussait bien, puis, un beau matin … tout avait été mangé. Maurice Genevois raconte cette histoire dans « Tendre bestiaire » [Plon, 1969], au chapitre consacré au lapin.
« Un matin, il se frotta les yeux : plus d’osiers. Il y avait suffi d’une nuit. Les derniers lapins déboulaient, rentraient au bois sans trop se presser, lestés qu’ils étaient à plein ventre. Ils avaient attendu le moment du maximum d’excellence, du plus tendre, du plus séveux, un délice. Le planteur le comprit, et pardonna. C’est qu’il était de ceux dont les regards, les soirs d’été, dans quelque lande empourprée de bruyères, à la lisière d’une pinède assoupie, avaient pu contempler à loisir les jeux et les palabres d’une garenne sous le ciel. La ville était là, souterraine. Les tapements de pattes éveillaient, sous les aplats de sable entre les touffes, des échos caverneux, comme de tambours ensevelis. Mais toute la ville était dehors, attirée par la sérénité d’un beau soir entre les soirs. L’air était doux, presque immobile. Une brise imperceptible soufflait parfois, nonchalamment, tout juste effleurant le poil dans un rebroussis caressant. On se croisait, on se saluait, on faisait claquer ses oreilles, on se frottait le bout du nez. Des flâneurs graves passaient, marquant des pauses, repartant, de nouveau s’arrêtant, méditatifs ou perdus dans un rêve. Sous les basses branches d’un épicéa, longues et mollement balancées, des groupes s’attiraient l’un l’autre, s’aggloméraient en foule dense, comme limaille aux branches de l’aimant. Il y avait des conciliabules, mimes et discours à menus couinements, et des « mouvements divers » qui resserraient soudain les rangs, soudain les disloquaient en pirouettes, en culbutes, en prosternements cocasses. Et, non moins soudainement, comme une salle qui se vide, la voûte des longues branches voyait filer sous ses panaches des bandes d’oreillards galopant, appelés vers où, vers quel plaisir nouveau ? Car cette animation était gaie, alerte, tout à la joie de vivre. Ce beau soir, cette transparence de l’air, cette coulée des derniers rayons sur les troncs roses des pins et les palmes dorées des fougères, toute cette calme beauté, exorable au cœur des hommes, les garennes, à leur façon, la sentaient et la célébraient. Depuis … IL s’est trouvé un « Monsieur » qu’irritaient les dégâts des lapins ». C’était un savant. Il a écrit à un autre savant, expert en microbiologie, spécialiste en ultravirus. Un tout petit paquet est arrivé par la poste, et les lapins sauvages ont eu la myxomatose. C’est une épouvantable maladie, qui fait flamber et enfler la tête de ses victimes, leur tire les yeux hors des orbites. Ces yeux sont rouges et douloureux, comme s’ils étaient à demi arrachés ; mais ils tiennent, c’est là un arrachement qui dure. Des amateurs de pittoresque disent que ces bestioles torturées portent un masque de lion. Et c’est vrai. Et ce masque posé de force, ce masque à ultravirus semble en vérité monstrueux. Il m’est arrivé encore, en Sologne, d’avoir devant les yeux, par un beau soir, à la lisière d’une pinède et sur une lande fleurie de bruyères, le spectacle d’une ville de garennes sortie de ses terriers, sous le ciel. Tordus, contraints, perclus de tous leurs membres, de tous leurs reins, les lapins se traînaient, allaient au-devant les uns des autres comme pour se prendre mutuellement à témoin, en appeler de leur souffrance, et peut-être implorer, des uns aux autres, un secours qui ne viendrait pas. Et soudain, l’un ou l’autre, il y en avait un qui hurlait. Un cri perçant, vrillant, prolongé, qui venait du fond des entrailles. Cela, je l’avais entendu, au soir tombant, sur les champs de bataille meurtriers. Qu’un blessé vienne à crier ainsi, un autre crie, et bientôt tous les autres. Et ces cris, mutuellement, s’exacerbent, tendent vers un paroxysme que l’on peut bien dire infernal, et que l’oreille ne peut plus supporter. La nuit tombait sur le bois, sur la lande. Je ne voyais plus les garennes. Mais toute la plaine continuait de crier. »
Maurice Genevois – extrait de : « Tendre Bestiaire » [Plon 1969]