Le Bruit des Arbres – Opus de mai 2020
PAR FRANÇOIS LOTTEAU
Syphilidis
Alors donc que le temps d’un pas lent mais certain
A mesuré les jours prescrits par le destin,
Lorsque l’événement enchaîné d’âge en âge,
Secouant ses liens les rompt et s’en dégage,
L’heure fatale sonne, et de terribles maux
Envahissent les airs, les terres et les eaux.
De nuages pressés ici le ciel se couvre,
Et pour vomir la pluie à torrents, il s’entrouvre.
De la cime des monts les fleuves élancés
Entraînent en grondant les arbres fracassés,
Et dans les champs surpris par leur subite approche,
Ecrasent les troupeaux sous des quartiers de roche.
Le superbe Eridan, le Gange impétueux,
Lançant hors de leur lit des flots tumultueux,
Engloutiront soudain les maisons en ruines,
Submergeront les bois, franchiront les collines,
Et, par l’immensité des espaces couverts,
Sembleront égaler l’immensité des mers.
Là, sous un ciel en feu, les Nymphes éplorées
Verront leurs ondes fuir dans l’air évaporées.
Les vents dévasteront le monde, et leur fureur
De ces calamités redoublera l’horreur.
L’ouragan, de la terre ébranlant les entrailles,
Abattra les cités les tours et les murailles.
Peut-être, hélas ! un jour viendra, jour de courroux,
Maudit par la nature et par les dieux jaloux,
Où la terre, aujourd’hui de végétaux couverte,
Disparaîtra sous l’onde ou languira déserte ;
Où le soleil, courant sur d’autres horizons,
Changera tout à coup le cercle des saisons ;
Des froids inattendus, des chaleurs insolites
Paraîtront hors du cours des époques prescrites ;
Sur de nouveaux terrains et sous des cieux nouveaux,
De troupeaux innocents, de cruels animaux
D’autres races naîtront de ce désordre extrême,
Et puiseront la vie à la source suprême.
Qui sait si, dans l’orgueil de ces enfantements,
La terre, fécondant d’antiques ossements,
Ne ranimera pas un Cée, un Encelade,
Un Typhée aux cent bras, gigantesque peuplade,
Qui, pour reconquérir le ciel qui les chassa,
Entasseraient encore Olympe sur Ossa ?
Ce lugubre avenir, à vous s’il se révèle,
Douterez-vous que l’air en son sein ne recèle
D’un mal contagieux les ferments inconnus,
Et qu’il ne verse enfin, quand les jours sont venus,
Aux mortels condamnés par les signes funestes,
Et des poisons nouveaux et de nouvelles pestes ?