Une crise sanitaire qui percute notre modèle économique

Une crise sanitaire qui percute notre modèle économique

On connaissait bien avant la crise du Covid-19, les faiblesses du tissu économique français.

N
otre pays manquerait d’entreprises industrielles de taille moyenne (des entreprises dont les effectifs sont compris entre 250 et 5000 personnes) et exportatrices (comme en Allemagne), le maillage et le partenariat entre les PME (taille inférieure à 250 salariés) et les Grandes Entreprises resteraient insuffisants (les grandes entreprises (GE) jouant de moins en moins de rôle moteur dans l’économie nationale), notre spécialisation industrielle autour de champions nationaux ne permettrait pas de nous adapter aux évolutions du commerce international, enfin le choix de la compétitivité-prix (ou d’un positionnement moyenne gamme) nous pénaliserait face à des pays beaucoup plus offensifs en matière de combinaison « qualité-prix » de leurs produits. Nous pourrions ajouter les grands programmes industriels promus par la France et qui ont bien souvent conduit notre industrie vers des voies technologiques sans issue (on pense évidemment à l’exemple du Concorde, du plan calcul ou du fiasco de la filière nucléaire française).

Aujourd’hui, le décrochage industriel de notre pays est patent. Entre 1980 et aujourd’hui, la part de l’industrie dans l’économie française est tombée de 25 % à 11 % du PIB, au bénéfice du secteur tertiaire comme le service aux entreprises, les banques et assurances ou le secteur du tourisme. Nous avons tous à l’esprit, les fermetures d’entreprises ou les plans sociaux qui ont émaillé l’histoire économique de ces dernières années : Florange, Goodyear, Alcatel, Sanofi, Blanquefort…

Cette casse de l’outil industriel (la perte massive d’emplois) n’est pas le fruit du hasard mais de choix délibérés et assumés par les gouvernements successifs (gauche et droite confondues), ayant théorisé l’abandon du rôle de l’Etat dans la conduite de l’économie. Pour eux, l’Etat n’ayant aucun intérêt stratégique à défendre, il doit abandonner ses participations dans les entreprises, conduire activement les privatisations (Voir FDJ ou ADP) et laisser le marché décider, de la viabilité ou non, de secteurs entiers comme le textile, la chaussure, l’électroménager… Ajoutons à cela, les stratégies de fragmentation de la chaine de valeur qui ont conduit les grands groupes industriels à délocaliser une partie de leur production dans les pays à bas coût.

 

Les faiblesses de notre tissu économique

Alors que notre balance commerciale continue à être déficitaire (58,9 Md€), les principaux secteurs excédentaires ont été, en 2019, avant la crise du Covid-19, l’aéronautique (nouvelle année record pour Airbus avec 863 livraisons et un excédent de 31 Md€), la chimie, les parfums et les cosmétiques (15 Md€), l’agroalimentaire (8 Md€) et l’industrie pharmaceutique (6 Md€). Quant à notre commerce de services, il reste largement excédentaire, avec un solde de 21,8 Md€ en 2019, en particulier, grâce aux recettes touristiques (57,9 Md€) engendrées par 90 millions de visiteurs étrangers (le gouvernement tablant pour 2020 sur 100 millions de visiteurs). Enfin, les filières de luxe (LVMH, Chanel, l’Oréal luxe, Hermès) affichaient une progression de leurs exportations de 9,0 % en 2019, pour un montant de 55,9 Md€, et un excédent de 27,0 Md€, en hausse de 3,4 Md€ par rapport à 2018. Les boissons (essentiellement composées de vins, champagne et cognac), les parfums et les cosmétiques représentant la moitié des exportations de la filière.

A contrario, après quatre années consécutives d’amélioration entre 2012 et 2016, la facture énergétique (solde des produits énergétiques) s’était à nouveau alourdie en 2017 et 2018, passant de 31,6 Md€ en 2016 à 45,6 Md€ en 2018. En 2019, elle se réduit de -1,8 % mais reste à un niveau élevé à 44,8 Md€.

Ces quelques chiffres montrent, à eux seuls, les difficultés auxquelles l’économie française va être confrontée dans les mois qui viennent en raison des particularités de son tissu économique et de l’arrêt presque total de certains secteurs comme l’aviation civile, le tourisme ou les produits de luxe. Avec 70 % de passagers en moins, la chute du transport aérien aura mécaniquement un impact sur les commandes d’avions qui pourraient baisser de 40 à 60 % dans les prochaines années. Quant au tourisme international, l’Organisation Mondiale du Tourisme prévoit une chute de 20 à 30 % alors qu’en France la consommation touristique pèse 7,4 % du PIB et emploie 2 millions de personnes. Par ailleurs, le confinement dans les pays asiatiques entraine des difficultés dans le secteur du luxe avec une chute des ventes importantes en Chine et en Asie (l’Asie représentant 30% des ventes de LVMH ou 36 % des ventes d’Hermès).

 

Le retour de l’Etat stratège

Aujourd’hui tous les indicateurs économiques et sociaux sont dans le rouge : baisse de l’activité économique en avril de 27 %, 246 000 demandeurs d’emploi supplémentaires enregistrés au mois de mars (soit une hausse de 7,1 % en un mois), faillites d’entreprises qui devraient augmenter de 25 % en 2020 (selon les données de la Coface), 11 millions de salariés en chômage partiel, auxquels il faudrait ajouter la paupérisation d’une partie de la population (jeunes étudiants, travailleurs précaires, travailleurs clandestins…).

Face à cette situation inédite, on observe dans le discours des responsables économiques et politiques, un changement de tonalité avec le retour de l’Etat stratège, voire la réhabilitation des nationalisations, très loin de la doxa libérale de ces quarante dernières années. Les discours aux accents souverainistes se multiplient où l’on redécouvre les vertus de l’Etat interventionniste capable de définir les secteurs considérés comme stratégiques, de les défendre contre les lois du marché et de limiter notre dépendance économique vis à vis de l’extérieur. La crise sanitaire semble apparemment ébranler les certitudes d’hier. Le débat public s’oriente vers des sujets jusque là contraire aux priorités du gouvernement : Relocalisation, nationalisation, Etat protecteur, retour des services publics, protection des secteurs jugés prioritaires comme l’énergie, les transports, l’agriculture et le secteur alimentaire, les médicaments et la santé. Tout cela pourrait sembler aller dans le bon sens si simultanément l’Etat français ne s’apprêtait pas à soutenir Air France avec une aide de 7 Md€ (assortie de quelques conditions minimales sur les vols intérieurs) et Renault de 5 Md€ sans aucune condition. « Il faut que ça redémarre et au plus vite », entend-on du coté des ministères de l’économie et du travail. Il est probable que dans les mois qui viennent, l’Etat sera amené à démultiplier ses interventions dans toutes les directions et en cherchant à lever certaines contraintes sociales (sur le temps de travail ou les congés payés), environnementales et énergétiques.

Pour les écologistes, la transformation de notre modèle vers une société de post-croissance et vers un ensemble d’activités décarbonées, passe par une refonte profonde de nos politiques publiques, de nos manières de vivre et de poser les enjeux prioritaires à court et moyen termes. Faut-il continuer à aider des secteurs comme l’automobile ou le transport aérien ? Comment réduire le tourisme de masse et les voyages low cost à travers le monde en tenant compte des millions de personnes qui directement ou indirectement dépendent de l’industrie du tourisme et de l’aéronautique ? Comment réduire l’industrie du luxe totalement contradictoire avec la réduction des inégalités et la société sobre que nous voulons promouvoir ? Comment transformer l’industrie automobile et ne pas prolonger plus longtemps le mirage de la voiture propre ? Quelle place devons-nous accorder aux territoires dans la refonte de nos outils de politique économique ? Toute une série de questions délicates qui nécessitent une large appropriation citoyenne dans la mesure où il s’agit de dessiner les traits, non seulement d’un autre modèle socio-économique mais d’une mutation (au sens fort) de notre civilisation thermo-industrielle vers la sobriété, la résilience, les « basses technologies », le partage, la solidarité. Nul ne peut prédire ce que sera le temps d’après mais ce que nous savons, en tant qu’écologistes, c’est qu’il n’y aura pas de retour à la normale, que l’effondrement de la biodiversité et le réchauffement climatique sont en cours, et que nous devrons, tôt ou tard, nous y adapter. Plutôt que de reculer sans cesse devant les enjeux, saisissons nous de la période pour engager notre modèle « productiviste-consumériste », vers le ralentissement de la production et de la consommation, afin de briser le potentiel destructeur de nos activités (sur les matières premières, sur le sol, sur le vivant dans son ensemble) et édifier un nouvel art de vivre.