Yves Cochet devant l’effondrement… chauds les marrons !

Yves Cochet devant l’effondrement… chauds les marrons !

Trois questions à Yves Cochet, collapsologue, ancien ministre de l’environnement et adhérent des Verts depuis… leur création, en 1984 ! Bien que réalisée juste avant la pandémie, cette interview prend un caractère encore plus cinglant et reste d’une actualité brûlante. À toi la parole, ami Yves…

 

Le Bruit des Arbres : les signes d’un effondrement systémique sont aujourd’hui massifs. Comment expliquer le manque de réaction de l’opinion et de la puissance publique ?

Yves Cochet : ce déni général est le réflexe humain le plus ordinaire, le plus adapté à cette situation extraordinaire. Il s’appuie sur deux caractéristiques cognitives de l’espèce humaine. La première est le résultat, dans nos compréhensions et dans nos comportements, de l’évolution de l’esprit humain depuis deux millions d’années Comme les autres animaux, les humains eurent à affronter essentiellement trois grandes prégnances : la peur, la faim, la libido. Nous, en tant qu’espèce, avons principalement passé notre temps à élaborer des solutions à ces trois problèmes. Globalement, nous avons réussi par la construction sociale d’institutions et de mécanismes permettant que chacun puisse s’affairer à autre chose que cette lutte incessante contre la peur, contre la fin, et pour la reproduction de l’espèce. C’est – en partie – la civilisation. Mais l’architecture neuronale de notre cerveau n’est alors pas du tout adaptée à la situation exceptionnelle qu’est l’effondrement systémique mondial qui se profile. Jamais l’espèce humaine n’a imaginé la possibilité de son extinction totale sans suite (les eschatologies religieuses dessinent toutes une autre forme d’existence après la fin des temps). Le philosophe Günther Anders a qualifié de « supraliminaires » de tels événements : ils sont inconcevables, inimaginables, impensables.

La seconde caractéristique humaine qui engendre la déni général est l’interaction spéculaire : une personne informée de l’effondrement rapproché ne se demande pas si elle veut changer sa vie – c’est-à-dire diminuer drastiquement son empreinte écologique – mais seulement si elle le ferait au cas où un certain nombre d’autres le feraient aussi. Ainsi, l’effondrement est inévitable non parce que la connaissance scientifique de son advenue est trop incertaine, mais parce que la psychologie sociale qui habite les humains ne leur permettra pas de prendre les bonnes décisions, au bon moment. Il existe souvent plusieurs manières de résoudre un problème local ou circonscrit, mais affronter tous les problèmes ensemble et globalement rend le coût d’éventuelles solutions si élevé que seul le déni s’avère être la réponse adaptée. C’est ce déni de masse qui garantit que l’effondrement est certain.

 

Le Bruit des Arbres : en France, aujourd’hui, quelles décisions prioritaires l’État devrait-il prendre, selon toi, pour faire face à l’effondrement ?

Yves Cochet : sachant que, selon moi, l’effondrement systémique mondial est inévitable et qu’aucun gouvernement ne prendra les justes mesures à temps (à cause du déni), il n’y a pas de bonne réponse à cette question. Néanmoins, on peut dire que la décroissance est la politique de l’effondrement, au sens où ces mesures de décroissance de l’empreinte écologique d’un territoire pourront le rendre plus résilient, c’est-à-dire réduiront le nombre de morts. Prenons un exemple : en matière de mobilité, une « juste mesure à temps » serait de proposer à Renault et Peugeot de remplacer dès aujourd’hui leur rêve de voitures électriques et/ou autonomes par la fabrication de calèches, de fiacres et de diligences. Tandis que l’État subventionnerait massivement les haras nationaux et même les élevages privés de telle sorte que, vers 2035, il y ait environ cinq millions de chevaux de trait en France plutôt que les misérables cent cinquante mille d’aujourd’hui. Encore plus brièvement, en matière d’égalité sociale, il faudrait dès aujourd’hui mettre en place une politique de rationnement des denrées de base : chacun aura un panier citoyen minimum pour vivre, les riches baisseront leur surconsommation. On voit que ces deux « justes mesures à temps » pourraient sauver des vies localement et, par ailleurs, ne verront jamais le jour avec quelque gouvernement que ce soit avant l’effondrement (à cause du déni).

 

Le Bruit des Arbres : à l’échelle locale, quelle principale mesure de résilience concrète devrait-elle être proposée par les candidat.e.s dans le cadre des élections municipales ?

Yves Cochet : à choisir :

–> Évoluer d’un modèle de concentration métropolitaine vers un paradigme biorégional ; Promouvoir la déconcentration démographique des régions métropolitaines (organiser l’exode urbain).

–> Réduire progressivement la disponibilité énergétique par habitant à une demi-tonne équivalent pétrole, soit une division par cinq par rapport à la moyenne nationale actuelle.

–> Tendre à une réduction des déplacements. Développer une culture du cheval et de la traction animale.

–> Valoriser et réhabiliter les lignes ferroviaires secondaires.

–> Promouvoir une nouvelle donne économique basée sur la proximité des échanges, les énergies renouvelables et la gestion des communs par les personnes directement concernées.

–> Promouvoir les métiers manuels et les low tech ; Passer de quatre cent mille emplois agricoles en 2017, à environ cinq millions et demi en 2030.

–> Transformer en polycultures-élevage (permaculture) les surfaces agricoles utiles des communes pour tendre vers l’autosuffisance alimentaire.

–> Valoriser le rationnement comme principe d’égalité des citoyens et de lutte contre le dépassement écologique (overshoot).

 

Lire le dernier ouvrage d’Yves Cochet, Devant l’effondrement – Essai de collapsologie, éditions Les Liens qui libèrent (256 pages, 18,50 euros).