Le Covid 19 comme révélateur de nos sociétés

Le Covid 19 comme révélateur de nos sociétés

Dans le précédent numéro du Bruit des Arbres, je concluais par « l’anthropocentrisme est une impasse de la pensée et la réalité est celle d’une planète qu’aucune espèce vivante ne doit pouvoir contrôler. Nous vivons un moment de la période de l’anthropocène qui était prévisible et qui pourra s’orienter autant vers un nouvel ordre plus autoritaire qu’une prise de conscience écologiste. »

 

Une prétention humaine amoindrie ?

U
ne des premières conséquences de l’anthropocentrisme, c’est la prétention de l’économie à tout gérer, de la simple production à l’ensemble des relations sociales y compris non marchandes. Nous avons peut être temporairement reculé face à cette impasse. L’humanité, le monde est vu depuis une espèce particulière, l’homo sapiens sapiens, apparu il y a quelques millions d’année, sur une planète parmi des milliards dans l’univers. Celle que nous appelons la Terre, bien qu’il y ait plus de surface maritime que terrestre, est en train de vivre une petite parenthèse (ou pas) de son histoire. De toute évidence, nous sommes bien entrés dans l’anthropocène. Sans notre espèce, jamais ce virus n’aurait pu se répandre aussi rapidement sur toute la planète. Jamais l’humanité ne se serait retrouvée confinée à une telle échelle, de l’Amazonie aux îles du pacifique. Les êtres humains se sont arrêtés et la nature a repris ses droits. Notre action ou notre inactivité ont bien un impact sur le fonctionnement de la planète. Les eaux fluviales et maritimes se sont éclaircies ; le ciel a retrouvé ses couleurs ; les animaux, les oiseaux sont revenus dans les espaces abandonnés par les êtres humains.

 

Un arrêt surprenant des activités humaines

A la mi-mars, la quasi-majorité des gouvernements ont décidé les uns après les autres de confiner leurs populations sur tous les continents. À une première surprise (relative), la diffusion accélérée et planétaire d’un virus, les êtres humains se sont isolés pour se protéger, pris le temps de s’arrêter pour analyser, comprendre avant d’agir…et laisser les autres espèces vivre leur en l’absence du prédateur que nous sommes.

Cet arrêt surprenant n’est malheureusement pas une prise de conscience de nos gouvernements mais une peur de l’inconnu de la situation après les estimations alarmistes du professeur Ferguson de l’Imperial College de Londres prévoyant des centaines de milliers de morts en cas d’inaction des gouvernement, 500 000 décès en Grande-Bretagne et 2,2 millions aux États-Unis. Jusqu’à présent, la stratégie chinoise de janvier du confinement apparaissait singulière aux gouvernements occidentaux et inadaptée au reste du monde. La Corée ou le Japon étaient des pays atypiques. Les gouvernements apprenaient d’un seul coup ce qu’est une épidémie, un phénomène exponentiel, les étapes de la contamination, les porteurs sains, asymptomatiques, pré-symptomatiques, les malades, les facteurs de contagiosité, l’immunité de population, la capacité de charge du système hospitalier… Mais ils ont fait le choix de la récession, une récession choisie et non imposée par un évènement exogène comme ce fut le cas avec la crise des subprimes, ce qui est inédit dans l’histoire des politiques économiques.

 

Le confinement, un aveu d’échec, mais porteur d’espoir

Aucun gouvernement n’a décidé d’arrêter son pays, occasionnant ainsi une chute de plus de 30 % de son activité, et un plongeon du PIB, une montée du chômage. Mais nos sociétés ne se sont pas effondrées au sens de la collapsologie.

Les gouvernements ont été incapables de bloquer les différentes étapes d’une épidémie pour l’empêcher de devenir une pandémie mondiale. Ne voulant pas bloquer le commerce international, ils ont laissé le virus se répandre sur toute la planète depuis Wuhan. Ne voulant pas tenir compte des alertes épidémiologiques des premiers rapports de l’OMS qui décrivaient les caractéristiques du SARS-CoV-2, notamment l’existence de porteurs asymptomatiques et pré-symptomatiques, le virus a contaminé des millions de personnes sur toute la planète. Heureusement, la létalité du virus est moins importante que d’autres maladies et que surtout les morts sont la conséquence de comorbidité que du virus lui-même. L’Afrique est ainsi plus épargnée que les États-Unis ou les pays occidentaux, à cause des ravages de la malbouffe en termes d’obésité, de diabète, de maladies cardio-vasculaires mais les populations les plus précaires des pays occidentaux sont les principales victimes.

L’échec se mesure aussi à l’absence ou l’insuffisance des mesures de protection, des masques et des tests comme des respirateurs qui expliquent les écarts de mortalité entre les pays occidentaux. La France ayant délocalisé l’essentiel de ses capacités industrielles s’est trouvée largement dépourvue devant la pénurie de masques ou de tests contrairement à l’Allemagne qui a su mettre en place des procès de production rapidement. La France a eu un comportement ubuesque où après avoir interdit le port des masques va le rendre obligatoire au lieu d’avoir assumé une pénurie et des destructions de stocks stratégiques de masques.

L’échec révèle aussi le cynisme de la recherche d’une immunité de groupe qui aurait occasionné des centaines de milliers de morts. Il n’est pas anodin que les pays qui ont le plus de décès sont les populistes cyniques (États-Unis, Brésil, Royaume-Uni) ou les régimes autoritaires (Russie, Iran). Pour la Chine, il y a d’importants doutes sur la fiabilité du nombre de morts réels. Certains pays ont tergiversé sur les mesures à prendre, notamment le Royaume-Uni. Boris Johnson a changé de position après avoir été contaminé et passé près de la mort mais le retard pris explique sans doute le nombre élevé de morts dans son pays. Aux États-Unis, un député républicain américain a même dit : « Laissez mourir les vieux, laissez-moi mourir, on a bien vécu, ne confinez personne, sauvez l’Amérique et ses emplois pour notre jeunesse ». Mais le pays de Trump est en passe d’avoir à la fois la crise économique et la crise sanitaire car l’immunité de groupe est difficile à obtenir. Les premières estimations de celle-ci montrent que la part de la population qui a développé les anticorps pour être immunisée dans les régions où le virus a le plus circulé est d’à peine 10% alors qu’il faudrait qu’elle soit au minimum de 60 %.

 

Déconfiner ou pas les pays

Les gouvernements ont pris peur mais ils veulent aujourd’hui déconfiner pour « relancer l’économie ». Le choix de la récession ne correspond pas à leur doxa et ils s’apprêtent à revenir à leurs politiques néo-libérales préférées, profitant de l’occasion pour imposer « un nouvel ordre plus autoritaire » : Plus de contrôle policier, moins de contre-pouvoir juridique. Retour forcé au travail.

À l’heure qu’il est, la situation est très variable selon les pays. Certains pays sont encore dans la phase exponentielle de l’épidémie ; d’autres auraient passés un pic ; d’autres ont des reprises épidémiques. L’inquiétude d’une reprise place d’autant plus que l’épidémie peut reprendre à partir de personnes porteuses du virus, ou de cas importés, tellement le virus s’est diffusé ou qu’il continue à muter. (1) Une reprise de la première vague ou l’arrivée d’une deuxième vague est donc possible tant que nous ne connaîtrons pas toutes les caractéristiques du virus, que nous serons capable de réduire ses effets avec des médicaments ou de trouver un vaccin. Car nous ne pouvons pas revenir sur la première erreur commise, stopper la diffusion de ce virus. Il faut vivre avec lui maintenant ou le confiner comme nous l’avons fait pour d’autres maladies, jusqu’à l’éradiquer comme pour la variole. Il y a donc une course contre la montre avec le virus.

Déconfiner est une nécessité mais quand et à quelles conditions ? Confinez est une situation d’échec quand il n’y a pas d’autres choix au risque d’avoir des centaines de milliers de morts. Sommes-nous dans une meilleure situation qu’avant le confinement ? En termes de protection, certainement. Le port du masque n’est plus prohibé mais le nombre est insuffisant. Par contre, le principal problème c’est l’insuffisance de tests. Nous sommes toujours dans l’inconnu en ne testant pas suffisamment de personnes asymptomatiques. Tant qu’il y a de nouveaux cas détectés, cela signifie que le virus circule et contamine, ce qui est le cas de l’Ile-de-France. Une précipitation non contrôlée pourrait avoir un coût démesuré. Et c’est toute l’inquiétude de la situation.

Nous sommes loin du scénario écologiste type an 01 : « On arrête tout, on réfléchit, et c’est pas triste. » La parenthèse est en train de se refermer pour revenir à la situation antérieure.

 

Une parenthèse économique ?

Pendant deux mois, les frontières se sont fermées ; les gouvernements ont redécouvert les politiques économiques ; les banques centrales recommencent à prêter aux États ; le pacte de stabilité de l’UE a été gelé ; les dépenses publics se sont envolées dans un contexte d’effondrement des recettes fiscales. L’économie est redevenue politique. Elle n’est plus cette science normative qui prétend transformer des lois sociales en lois scientifiques, en modèles mathématiques atemporels et déterritorialisé, pour mieux cacher l’enrichissement des plus riches. L’économie est redevenue une science sociale, l’interaction sociale de milliards d’êtres humains, ayant des sentiments, une conscience.

Il existe donc une différence entre la valeur d’usage produite par les activités utiles qui ont continué à fonctionner pendant le confinement, qui participe aux biens communs, et la valeur d’échange, produite par les activités pour uniquement générer du profit, dont on peut se passer. La monnaie, la dette sont des constructions sociales qui n’existent pas à l’état naturel. Leur émission n’est pas automatiquement source d’inflation.

La politique économique redevient keynésienne. Les gouvernements peuvent décider d’investir, de payer des salaires dans le cas de chômage partiel, même en étant endetté. Et les marchés financiers deviennent inutiles.

La production précède l’échange sinon plus de masques, de tests … Et bien sûrs, pour qu’il y ait des profits, il faut des personnes qui travaillent. Le capitalisme financier ne génère pas de valeur, il s’approprie celle créée par d’autres.

L’économie doit être au service de l’humanité et non l’inverse. Les seuls faits que nous ne pouvons pas modifier, ce sont les crises écologiques, le dérèglement climatique, l’effondrement de la biodiversité. Pour cela la santé doit être prioritaire sur les profits, la production doit être relocalisée, la consommation ostentatoire réduite…

L’Humanité peut donc prendre une autre voie que celle qui nous a menés à la catastrophe.

 

(1) L’un des éléments les plus intéressants de cette crise c’est le projet nextrain qui recensent le génome de nombreuses séquences de par le monde permettant de faire une cartographie du virus, de voir son évolution et ses mutations.