École : ma dirlo va craquer

École : ma dirlo va craquer

Carte blanche à une enseignante

Ouvrir un camion pizza
ou faire un one woman show ?
Ma dirlo doit sauver sa peau !

Sa rentrée a commencé bien avant le week-end, sa boîte mail était pleine à craquer. Les cheveux dans les yeux : elle n’a pas anticipé la fermeture des salons de coiffure, elle regarde avec appréhension son ordinateur.

Pour lundi, jour de rentrée, on lui a demandé d’organiser avec la mairie et les parents la garde des enfants jusqu’à 10 heures, le temps que l’équipe se concerte sur la façon dont elle va rendre hommage au collègue odieusement assassiné…

Assassinat qui nous a tou.te.s bouleversé.e.s… autant horrifié.e.s par la manière de faire que par les raisons qui ont poussé ce jeune homme à agir ainsi. Les inquiétudes pour la suite sont multiples, le climat est tendu. On a besoin d’échanger sur nos ressentis, mais aussi sur la façon d’aborder les choses : des éléments nous ont été fournis, à adapter de la maternelle au lycée. Une collègue facétieuse nous a envoyé la partie tronquée de la lettre de Jaurès, très critique sur la folie de l’évaluation à tous crins, déjà à l’époque, on a un peu ricané.

Mais contr’ordre : on rentrera à 8h30… l’hommage au départ uniforme sur tout le territoire sera adapté, etc., etc. Rappel des parents et de la mairie… Et une lettre discrète qui sera passée inaperçue car reçue bien tard rappelle que « Pour celles et ceux qui se seraient organisé.e.s, on peut maintenir la rentrée à 10 heures. »

Pensée émue pour les girouettes, tenues de tourner en fonction du vent.

Ma directrice a encore traité quelques mails de parents indignés par le fait qu’on parle de Samuel Paty, qui souhaitent connaître les termes et les façons dont on va en parler afin de préparer leurs enfants, ou qui ne mettront par leur progéniture en classe lundi matin.

Nous sommes rentré.e.s à 8h30, chacun.e s’est débrouillé.e face à sa classe.

Il est temps de se pencher sur la version mise à jour de la FAQ (foire aux questions pour les intimes) qui doit l’aider à interpréter le PROTOCOLE, protocole qui édulcore parfois la loi, ce qui suscite des incompréhensions entre usagers et fonctionnaires fonctionnant. Ma directrice n’oublie pas son ordre de mission, clairement énoncé, lui, par le Premier ministre : « Le meilleur moyen de soulager l’hôpital, c ‘est de ne pas tomber malade. » Ça lui rappelle un peu une plaisanterie familiale : « Mieux vaut être jeune, riche et beau que vieux, pauvre et malade ». Elle est bien d’accord, elle fait de son mieux, mais le temps travaille contre elle. Elle compte bien s’employer à ne pas tomber malade , mais ce matin elle a pris peur en beurrant ses tartines : un médecin alertait les jeunes : il faut prendre l’épidémie au sérieux, même jeunes, si vous avez 10 à 15 kg en trop, ça peut être dramatique ! Elle s’interroge sur son IMC… et celui de ses collègues. Les critères de vulnérabilité ont évolué puis ont été retoqués par le Conseil d’État avec retour aux critères initiaux mais on attend une nouvelle liste pour bientôt.

Les masques. Ma directrice s’est battue pour obtenir comme annoncé la pochette de 4 à 6 masques par personne (et non par classe comme certaines personnes zélées ont voulu le faire pratiquer, précisant encore qu’avant répartition, il fallait en garder pour les psy, les AESH (personnel qui accompagne les élèves à handicap) et membres du RASED (une espèce en voie de disparition de toutes façons)… puis elle a appris (merci REPORTERRE) que ces masques contenaient de la zéolithe d’argent ou/et d’argent et de cuivre et pouvaient ne pas être recommandés …L’ANSES est venue à son secours, la laissant perplexe : en résumé, « Pas de problème avec ces masques s’ils sont utilisés en suivant toutes les préconisations (…), mais dans les conditions réelles de port de ces masques, tout risque sanitaire ne peut être exclu. » Le ministère de l’Éducation nationale tranchera après plusieurs autres, en préconisant l’abandon desdits masques.

Retour aux reliquats de masques jetables… Comme elle a une conscience écologique, elle est un peu malheureuse: le polypropylène met 450 ans à se dégrader dans la nature, il est décomposé en cochonneries qui intègrent les chaînes alimentaires… Beurk ! Vivement les nouveaux masques tissus !

D’autres mails de parents s’insurgent sur le port du masque par leurs enfants… le texte de loi est clair, le protocole plus édulcoré, l’IEN conciliant (avec les parents), puis enfin, en fin de semaine, le ministre rappelle la loi. OUF, on va savoir quoi faire !

La maman qui avait un certificat d’allergie au masque pour sa Choupette, confrontée du coup à la distanciation sociale, propose que Choupette mette le masque en récré pour pouvoir jouer… Le petit tintement de la boîte mail, encore. Piscine ! Petites précisions du conseiller pédagogique : piscine fermée au public mais pas aux élèves et à leurs accompagnateurs.

Enseignants et communes se sont démenés pour éviter les « brassages » de classes : horaires de récré décalés, cantine strictement organisée, interdiction d’accès aux jeux de cour et au ballon mousse qu’on ne peut désinfecter, désinfection des guidons des vélos de maternelle entre chaque récré, etc., etc.

….mais dans les vestiaires, les cars et les bassins, nous pourrons « brasser » les classes.

Le transport en car fait partie du temps d’enseignement : port du masque à partir de 6 ans MAIS ce sont des transports en commun, donc pas de masque obligatoire avant 11 ans, donc si vos élèves (brassés avec d’autres) ne veulent pas porter le masque, ils n’en porteront pas. Logique.

Rassurons-nous, arrivés aux vestiaires tout va s’arranger, puisqu’ils sont attribués chaque semaine aux mêmes classes ! Chouette, on espère aussi qu’ils soient désinfectés d’un groupe à l’autre mais ce n’est pas précisé. Ne soyons pas de mauvaise foi, c’est que ça doit aller de soi.

Les adultes devront porter le masque tout le temps, eux, sauf ceux qui seront dans l’eau… On explique les consignes aux parents bénévoles, fidèles au poste …La directrice ne peut s’empêcher de les fixer et d’estimer leur surpoids : les met-elle en danger ?

Elle rejoint sa classe (oui, beaucoup de directrices /directeurs sont en charge de classe), ravie de s’éloigner pour un temps de son écran, soulagée de ne pas avoir eu à préparer en plus la visite impromptue du député accompagné de l’inspecteur de circonscription, venus constater que bien sûr tout se passait très bien…

Vivement ce soir qu’elle se couche et peaufine son projet de camion pizzas !

Elle croit se rappeler avoir entendu sur BFMTV qu’elle était choyée …ou c’était sur LCI ? Il faut qu’elle se rappelle par qui. Ça y est, elle a retrouvé : c’était sur LCP ! Notre Premier ministre a dit : « L’Éducation nationale, notre majorité l’a particulièrement choyée, et nous allons continuer de le faire. »

Ça lui fait chaud au cœur, vraiment, ça va ensoleiller son week-end de confinement.

 

L’enseignante dépitée
mais néanmoins solidaire et sur le pont